Maan Alhmidi
Nathaniel Veltman, accusé du meurtre de quatre membres d’une famille musulmane à London, en juin 2021, a été reconnu coupable, le jeudi 16 novembre, de quatre chefs de meurtre au premier degré, dans une affaire qui a déclenché un débat national sur l’islamophobie.
Les jurés l’ont également reconnu coupable du chef d’accusation de tentative de meurtre – un cinquième membre de la famille avait été blessé dans l’attentat. Le meurtre au premier degré entraîne automatiquement une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
Le jury avait commencé à délibérer la veille, après avoir reçu les dernières instructions de la juge, à l’issue d’un procès de plus de deux mois.
Veltman, âgé de 22 ans, avait plaidé non coupable de toutes les accusations. Il regardait tranquillement droit devant lui alors que le verdict était prononcé. Des membres de la communauté musulmane embrassaient des proches des victimes dans la salle d’audience après le verdict, en Cour supérieure de l’Ontario à Windsor.
Rappel des faits
On a appris au procès que Veltman avait happé avec sa camionnette les membres de la famille Afzaal qui se promenaient tranquillement à London au soir du 6 juin 2021. Salman Afzaal, âgé de 46 ans, sa femme de 44 ans, Madiha Salman, leur fille de 15 ans, Yumna, et la grand-mère de 74 ans, Talat Afzaal, ont été tués. Le fils du couple, âgé de neuf ans, a été grièvement blessé, mais il a survécu.
« Le chagrin persistant, le traumatisme et le vide irremplaçable laissé par la perte de plusieurs générations nous ont profondément meurtris », a déclaré Tabinda Bukhari, la mère de Madiha Salman, devant le palais de justice après le prononcé du verdict.
« Ce procès et ce verdict rappellent qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour lutter contre la haine sous toutes ses formes qui existe dans nos communautés. Ses gestes visaient à diviser les gens, a-t-elle dit. Ce procès nous a obligés à revenir une fois de plus à ce carrefour. Ce terrible carrefour où le meilleur et le pire de l’humanité ont convergé il y a deux ans et demi. »
Crime à caractère terroriste
C’était la première fois que les lois canadiennes sur le terrorisme étaient soumises à un jury dans le cadre d’un procès pour meurtre au premier degré.
La juge Renee Pomerance avait expliqué aux jurés, le mercredi 15 novembre, qu’ils pourraient rendre un verdict de meurtre au premier degré s’ils convenaient à l’unanimité que la Couronne avait établi hors de tout doute raisonnable que Veltman avait eu l’intention de tuer ses victimes, et qu’il avait planifié et délibéré son geste.
La juge a également déclaré aux jurés qu’ils pouvaient parvenir à une condamnation pour meurtre « au premier degré » au motif que ces meurtres constituaient une « activité terroriste ».
À l’extérieur du palais de justice, l’avocat de la défense, Christopher Hicks, a soutenu que la juge, pendant le processus de détermination de la peine, « pouvait adopter sa propre vision des faits » en ce qui concerne l’élément terroriste de cette affaire.
Omar Khamissa, directeur de l’exploitation au Conseil national des musulmans canadiens, a déclaré qu’il se trouvait à London à la suite de l’attentat. « Je ne suis pas sûr que mon coeur ait vraiment guéri depuis ce jour », a-t-il déclaré le 16 novembre. Le nom de Veltman « finira dans les poubelles de l’histoire », a-t-il estimé, ajoutant qu’il n’oublierait jamais « le mal qui a été révélé dans cette salle d’audience ».
« Et si moi je n’oublierai jamais, que dire de la famille (des victimes) ? Que dire de la communauté de London ? Que dire de la communauté musulmane du Canada ? »
Le procureur de la Couronne Fraser Ball a soutenu dans ses plaidoiries que Veltman avait planifié son attentat pendant des mois, qu’il avait acheté une grosse camionnette grâce à un prêt et y avait installé à l’avant une lourde grille de protection. Selon Me Ball, Veltman voulait envoyer un message aux musulmans du Canada : ils seraient tués comme la famille Afzaal s’ils ne quittaient pas le pays.
Le procureur a par ailleurs soutenu que Veltman avait aussi un message à adresser aux autres nationalistes blancs : il voulait les inciter à commettre des attentats violents.
Troubles mentaux
La défense, de son côté, a plaidé que Veltman n’était pas coupable de meurtre au premier degré et qu’il n’avait pas commis d’acte de terrorisme, car il n’avait pas l’intention criminelle de tuer les victimes et qu’il n’avait pas délibéré ni planifié l’attaque.
Me Hicks a déclaré que Veltman souffrait de plusieurs troubles mentaux, notamment une dépression sévère, des troubles du spectre de l’autisme et d’un trouble obsessionnel compulsif, et qu’il avait ingéré des champignons magiques deux jours avant l’attaque.
Il a soutenu que l’attaque était un « événement hypomaniaque induit par la drogue » et que le comportement de Veltman ce jour-là avait un caractère « imprévisible ».
Un psychiatre légiste appelé à témoigner pour la défense a estimé que Veltman n’était pas considéré comme non criminellement responsable en raison de troubles mentaux, mais qu’il souffrait de problèmes de santé mentale. L’avocat de Veltman a admis dans ses plaidoiries finales que son client devrait être tenu responsable de la mort des victimes et pourrait ainsi être reconnu coupable d’homicide involontaire.
Au cours du procès, Veltman a déclaré qu’il avait été influencé par les écrits d’un homme qui avait assassiné 51 fidèles musulmans en 2019 dans deux mosquées de la Nouvelle-Zélande. L’accusé a également déclaré aux jurés qu’il envisageait d’utiliser sa camionnette, qu’il avait achetée un mois plus tôt, pour perpétrer une attaque. Il a aussi raconté qu’il avait fait des recherches en ligne sur ce qui se passe lorsque des piétons sont heurtés par des véhicules à différentes vitesses.
Veltman a aussi raconté au procès qu’il avait commandé en ligne un gilet pare-balles et un casque de style militaire au cours du mois précédant l’attentat et qu’il les avait portés ce jour-là.
Il a déclaré au jury qu’il avait ressenti une « envie pressante » de happer les Afzaal après les avoir vus marcher sur le trottoir, sachant qu’ils étaient musulmans grâce aux vêtements qu’ils portaient; il avait aussi remarqué que l’homme du groupe portait une barbe.
Suprémaciste blanc
Les jurés ont aussi visionné une vidéo où Veltman avoue à un enquêteur de la police que son attaque était motivée par des convictions de suprémacistes blancs.
Le tribunal a également appris qu’il avait écrit un manifeste dans les semaines précédant l’attentat, se décrivant comme un suprémaciste blanc et colportant des théories du complot, non fondées, sur les musulmans.
L’attentat de London a provoqué des vagues de consternation, de chagrin et de peur un peu partout au Canada; il a aussi suscité des appels en faveur de mesures pour lutter contre l’islamophobie.
Le Conseil national des musulmans canadiens a ainsi publié une liste de recommandations pour lutter contre la haine antimusulmane à travers le Canada, appelant notamment les gouvernements fédéral et provinciaux à s’engager dans des stratégies de sensibilisation et à fournir des ressources.
Le gouvernement fédéral a organisé un sommet sur l’islamophobie en juillet 2021 pour entendre les idées et les points de vue des Canadiens musulmans sur la manière dont Ottawa pourrait prévenir les attaques ciblant leur communauté.
En janvier dernier, le premier ministre Justin Trudeau a nommé la journaliste et militante pour les droits de la personne Amira Elghawaby comme première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie.
Source : La Presse canadienne
Photo : Yumna Afzaal, Madiha Salman, Talat Afzaal et Salman Afzaal, ont été tuées le 6 juin 2021.