Établir une chronologie de la fête de la Saint-Jean-Baptiste est simple, son histoire étant bien documentée. Son substrat païen – d’où la tradition du feu de joie tire son origine – se perd néanmoins dans la nuit des temps, les Gaulois ayant eu eux aussi une célébration au même moment de l’année pour souligner le solstice d’été.

La date de la fête a été déterminée par l’Église catholique avec celle de Noël. En effet, dans l’évangile selon saint Luc, le récit qui est fait de l’Annonciation de l’ange Gabriel à Marie et de la naissance de Jésus est imbriqué dans celui des origines de Jean, qui, adulte, sera surnommé « le baptiste ».

Les écrits des Pères de l’Église (des auteurs ecclésiastiques de renom ayant vécu, pour la plupart, au cours des cinq premiers siècles de notre ère), qui parfois rapportent certains détails historiques et traditions orales, ont aussi servi de source de réflexion dans le débat entourant l’élaboration du calendrier chrétien.

Quoi qu’il en soit, cette fête religieuse s’est enracinée fermement en France où quelques reliquats symboliques de paganisme celtique se sont joints aux dimensions culturelle et politique propres à ce pays pour donner à la célébration la tonalité qu’on lui connaît aujourd’hui.

Ludger Duvernay

Il n’est donc pas surprenant que les colons de la Nouvelle-France aient transplanté la Saint-Jean-Baptiste en terre d’Amérique, et ce, très tôt.

La première mention à être faite d’une Saint-Jean remonte à 1606 : le poète Marc Lescarbot, embarqué à bord du Jonas, un navire parti de La Rochelle à destination de l’Acadie, raconte comment l’équipage et les passagers se sont arrêtés à la hauteur de Terre-Neuve pour festoyer.

La seconde mention connue se trouve dans les Relations des jésuites, un recueil des correspondances entre les missionnaires de la célèbre congrégation et leurs supérieurs à Paris : il y est expliqué, sous la plume du père Lejeune en 1636, comment une Saint-Jean fut célébrée à Québec à la requête du gouverneur Montmagny.

La colonie soulignait chaque année cette fête avec autant d’entrain que la métropole tout en développant ses propres traditions. Des deux côtés de l’Atlantique, les Français étaient très attachés à cette célébration populaire et il ne fallut rien de moins que de véritables séismes politiques et sociaux pour faire en sorte qu’elle disparaisse des mœurs : la Conquête au Canada et la Révolution en France.

Le « petit saint Jean-Baptiste » du défilé de Montréal en 1867

La renaissance de la fête, dans la vallée du Saint-Laurent, fut concomitante à l’émergence des aspirations politiques modernes des Canadiens français. Dans le but avoué de doter ses compatriotes d’une fête nationale à leur image, Ludger Duvernay, éditeur du journal La Minerve, organise le premier banquet de la Saint-Jean-Baptiste le 24 juin 1834 à Montréal. Plusieurs personnalités de marque y assistent : Jacques Viger, maire, Louis-Hippolyte Lafontaine, député, George-Étienne Cartier, alors jeune activiste, etc.

Dans les décennies qui suivent, la popularité de la Saint-Jean-Baptiste se propage dans toutes les communautés canadiennes-françaises. Les feux de joie refont leur apparition et d’autres coutumes voient le jour, tel le défilé, alors indissociable du garçonnet incarnant le saint patron des Canadiens français.

D’ailleurs, pourquoi saint Jean-Baptiste a-t-il hérité de ce patronage? La logique voudrait que ce soit saint Joseph, qui devint (et qui est toujours) patron du Canada en 1624 sous l’impulsion de la congrégation des Récollets. Mais saint Joseph n’a jamais été entouré d’une célébration culturelle d’envergure qui se soit perpétuée dans le temps. Qui plus est, sa fête est le 19 mars, une date bien moins attrayante que le 24 juin pour organiser des réjouissances à l’extérieur. Considérant, l’importance de saint Jean-Baptiste pour les descendants des pionniers de la Nouvelle-France, le pape Pie X le proclama donc, à l’occasion du tricentenaire de la ville de Québec en 1908, patron de tous les Canadiens français.

Cette nuance dans les termes a son importance, d’autant plus que la Saint-Jean ne s’est jamais réduite qu’au Québec. Tout comme leurs ancêtres ont emporté de France leurs coutumes, les Canadiens français ont emporté à leur tour les leurs au fur et à mesure qu’ils quittaient la vallée du Saint-Laurent pour s’établir ailleurs en Amérique. C’est pourquoi la Saint-Jean-Baptiste est célébrée depuis des générations en Ontario, en Saskatchewan, en Alberta, etc.

Jusqu’aux années 1960, les symboles de la fête et sa signification sont largement demeurés inchangés. Mais avec l’émergence du mouvement indépendantiste québécois, la désaffection grandissante pour la religion et l’immigration de masse qui est venue transformer le profil démographique de plusieurs communautés francophones, la Saint-Jean s’est métamorphosée. Le nom lui-même s’est ici et là éclipsé au profit d’une autre appellation.

Cette transformation est toujours en cours et, dans une large mesure, cette fête est à la recherche d’une nouvelle identité. Comment les générations à venir s’approprieront-elles la Saint-Jean-Baptiste? Les nouveaux arrivants se sentiront-ils interpellés par cette célébration? L’accent mis sur la dimension francophone sera-t-il suffisamment rassembleur sur le long terme? L’avenir le dira, mais, pour le moment, l’heure est à la fête pour tout le monde!

Bonne Saint-Jean/Franco-Fête 2020!

PHOTO – Défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal en 1945: un char rappelle l’influence qu’ont eu les Canadiens français partout en Amérique.