OTTAWA – Les mesures économiques d’urgence déjà annoncées par Ottawa, en réaction à la COVID-19, suscitent tellement d’engouement que plusieurs décident de défier l’interdiction de sortir pour se pointer dans les bureaux de Service Canada.

« C’est bien, les annonces, mais il faut s’assurer qu’on est capables de répondre à la commande que ça amène », affirme Magali Picard, vice-présidente exécutive nationale de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC). « Nos gens dans les bureaux n’étaient pas prêts et outillés à recevoir la population, ni par les services informatiques ni en personne », ajoute-t-elle.

Selon Mme Picard, des dizaines de citoyens se retrouvent « coincés » dans les bureaux pour s’inscrire au régime d’assurance-emploi, frustrés de ne pas avoir pu remplir leur déclaration sur Internet.

« Il faut comprendre que les citoyens qui se présentent sont nerveux à tous les niveaux, au niveau de leur salaire, au niveau de leur santé. (…) Il y a eu des gens qui se sont fâchés et ça en est venu même à des coups, hier », décrit Mme Picard, qui déplore l’absence de masques, de gants et même de gardiens de sécurité sur les lieux pour protéger les travailleurs.

Ottawa avait déjà annoncé l’élimination du délai de carence obligatoire d’une semaine et l’obligation de fournir un certificat médical pour avoir accès aux prestations de maladie de l’assurance-emploi.

Mercredi, le gouvernement Trudeau a annoncé des mesures d’urgence totalisant pas moins de 27 milliards $ en soutien direct pour les Canadiens, dont ceux qui n’auraient pas droit à l’assurance-emploi, et qui perdent des revenus en raison de la pandémie de la COVID-19.

Certaines de ces mesures, comme la bonification du crédit pour la TPS et les allocations de soutien et de soins d’urgence, seront cependant mises en place par l’Agence de revenu du Canada (ARC) par souci d’efficacité, a déclaré le président du Conseil du Trésor Jean-Yves Duclos.

« On ne le cachera pas, Service Canada a déjà parfois des difficultés à traiter les demandes rapidement. Donc on va éviter un engorgement encore plus important pour le travail que Service Canada va devoir faire au cours des prochaines semaines et allouer une partie de ces responsabilités vers l’Agence du revenu du Canada », a précisé M. Duclos, dans une conférence de presse mercredi.

L’idée est d’éviter le plus de paperasse possible, afin que les Canadiens puissent s’inscrire rapidement et recevoir des dépôts directs dès le mois d’avril. Critiqué pour son indécision dans les derniers jours, le fédéral a voulu cette fois-ci prioriser la rapidité au lieu de rechercher la perfection.

« Nous voulons avoir une approche qui fonctionne très, très vite. (…) Ça veut dire qu’on va avoir une attestation très courte pour assurer que la personne est dans une situation où c’est nécessaire d’avoir de l’argent. Et avec ça, on va avoir une approche automatique. Ça veut dire qu’avec l’Agence du revenu du Canada, on a la possibilité de donner l’argent immédiatement. Donc, à notre avis, ça c’est une approche qui va fonctionner », a décrit le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, mercredi.

« Si nous avons des défis – c’est la première fois que nous allons utiliser une approche comme ça – on va les corriger aussitôt que possible. Donc, on va être là pour les Canadiens et les Canadiennes », a-t-il ajouté.

Or, les circonstances sont plus qu’inhabituelles et on en est bien conscient au gouvernement.

De nombreux fonctionnaires qui travaillent de chez eux, suivant la directive donnée par le Secrétariat du Conseil du Trésor, ont été prévenus qu’ils ont une « capacité technique limitée pour soutenir le télétravail de masse » selon des directives internes obtenues par La Presse canadienne.

Certains doivent suivre un horaire prédéterminé pour se connecter au serveur interne du gouvernement. Ainsi, les employés des provinces maritimes, du Québec et de la région de la Capitale-Nationale y ont accès entre 7 h et midi (heure avancée de l’Est); le reste de l’Ontario et les provinces de l’ouest canadien y ont accès entre midi et 17 h.

L’Internet doit être limité à ce qui est « essentiel » pour le travail et le travail hors ligne doit être privilégié lorsque possible. Ils doivent également éviter le transfert de données volumineuses et l’usage d’appareils mobiles pour réduire la charge sur le RPV.

Même si à l’interne, on assure que ces restrictions ne s’appliqueront pas aux « postes critiques », dont ceux à l’ARC qui vont traiter les demandes des Canadiens, la question demeure : le fédéral est-il prêt à être enseveli par les demandes des Canadiens dans les prochaines semaines?

Si le président du Conseil du Trésor est confiant que les services d’informatique vont s’ajuster à la demande, la présidente de l’AFPC l’est un peu moins.

« Si le système ne va pas mieux, que ce soit avec l’Agence ou même le système actuel, ça amène son lot de problèmes parce que les gens ont besoin de ces sous-là. Ils vont faire tout ce qu’il faut, ils vont prendre des risques en se retrouvant avec des dizaines et des dizaines de citoyens dans des bureaux coincés de Service Canada. Donc, c’est drôlement préoccupant. C’est ce qu’on vit actuellement », insiste Mme Picard.

SOURCE : Catherine Lévesque, La Presse canadienne