Sans la COVID-19, Valerie Whitt n’aurait peut-être jamais eu le courage de quitter son emploi.

La femme de 50 ans de Markham était gestionnaire de projet pour Santé Ontario depuis 13 ans. Elle était épuisée par les allers-retours à son bureau du centre-ville de Toronto, qui lui prenaient jusqu’à deux heures par jour, mais elle était intimidée à l’idée de renoncer à un emploi stable et à un chèque de paie régulier.

Puis la pandémie a frappé. Partout, les employés de bureau ont reçu l’ordre de travailler à domicile et, pour la première fois, Mme Whitt a eu un avant-goût d’une vie différente. Elle faisait toujours son travail, mais sans la corvée quotidienne des déplacements entre son domicile et le bureau. Elle avait plus de temps pour faire de l’exercice et planifier des repas sains, et plus d’énergie pour ses filles de six et dix ans.

« Le simple fait d’avoir cet espace dans ma vie – de ne pas avoir à me lever et à me précipiter pour aller travailler, de pousser les enfants à se dépêcher pour partir – m’a donné beaucoup de temps et d’espace pour vraiment évaluer ma vie et ce que je voulais faire », a expliqué Mme Whitt, qui a officiellement quitté son emploi récemment et travaillera désormais de façon indépendante, à la tête de sa propre entreprise.

« Cette pandémie m’a montré qu’il y a des choses plus importantes dans la vie que d’avoir cette carrière bien remplie en entreprise. »

L’histoire de Mme Whitt n’est aucunement un cas isolé. Alors que l’économie canadienne sort de plus de 15 mois de restrictions liées à la COVID-19 et que les travailleurs commencent à retourner au bureau, des experts préviennent qu’une vague de démissions d’employés pourrait entraîner des pénuries de main-d’oeuvre dans divers secteurs.

« Nous nous attendons à une augmentation de l’attrition, dans vraiment toutes les organisations », a observé Steve Knox, vice-président de l’acquisition de talents mondiaux pour la société de ressources humaines Ceridian.

Selon M. Knox, les employeurs font déjà face à des employés qui aiment travailler à domicile et ne veulent pas retourner à la vie de bureau, ainsi que des employés qui sont épuisés après une année stressante. Il a noté que certains employés semblaient avoir utilisé les 15 derniers mois pour réévaluer leurs choix de vie et qu’ils se disent maintenant : « j’arrête ».

Bien qu’il n’y ait pas encore de preuve statistique d’un exode important au Canada, la tendance semble déjà prendre forme au sud de la frontière. Selon les chiffres du département américain du Travail, la part des travailleurs américains ayant quitté leur emploi en avril était de 2,7 %, un bond par rapport à 1,6 % un an plus tôt et le niveau le plus élevé en plus de 20 ans.

« Nous suivons toujours rapidement. Nous nous inspirons des États-Unis », a affirmé M. Knox.

Selon un rapport publié en mai par Statistique Canada, 22 % des entreprises canadiennes interrogées s’attendent à ce que « le maintien en poste d’employés qualifiés » soit un obstacle au cours des trois prochains mois, tandis que 23,8 % ont identifié « la pénurie de main-d’œuvre » comme un problème imminent.

 

Forte rotation du personnel

Le groupe de pression Restaurants Canada calcule que plus de 800 000 travailleurs canadiens de l’industrie des services alimentaires ont perdu leur emploi ou ont vu leurs heures réduites à zéro pendant la pandémie de COVID-19.

Paul Grunberg, propriétaire du restaurant de Vancouver Salvio Volpe, pense que certains employés de la restauration qui ont été mis à pied plus d’une fois au cours de la dernière année en raison des restrictions de santé publique en ont assez de l’instabilité et recherchent maintenant une toute nouvelle carrière.

« Nous (Salvio Volpe) observons une rotation importante, et pour être honnête, j’espère désespérément que ce n’est pas quelque chose que j’ai fait , a affirmé M. Grunberg. Mais j’ai vraiment l’impression que les gens se disent simplement : Je veux du changement. Je veux quitter l’industrie et travailler dans un endroit peut-être moins difficile. »

En Alberta, où le taux de chômage oscille toujours autour de 9 %, on craint de plus en plus que les problèmes de recrutement et de rétention ne ralentissent la reprise de la province après la récession, a affirmé Scott Crockatt, porte-parole du Business Council of Alberta. Certaines des plus grandes entreprises de la province ont indiqué qu’il était plus difficile que prévu de pourvoir les postes vacants à l’heure actuelle, a-t-il ajouté.

« Le personnel recherche plus de flexibilité, et nous entendons cela dans tous les secteurs, a observé M. Crockatt. Dans certains cas, ils ne sont pas intéressés à reprendre leur emploi précédent s’ils ne peuvent pas obtenir cette flexibilité. »

Chez Morgan Construction and Environmental, une entreprise d’Edmonton impliquée dans des projets pétroliers, gaziers et miniers dans l’Ouest canadien, il y a actuellement plus de 75 offres d’emploi là où normalement il n’y en aurait qu’une poignée. Son président et chef de la direction, Peter Kiss, a affirmé que bon nombre de ses travailleurs navetteurs d’autres provinces avaient démissionné.

« Il semble que toute sorte de stress au travail, les voyages, les exigences liées à la COVID sur le site, toutes ces autres choses, pèsent tout simplement trop sur les gens en ce moment », a indiqué M. Kiss.

Le stress a été un facteur important dans la décision d’Emily Campbell de quitter son emploi de journaliste de télévision à Montréal pour retourner dans sa ville natale de Calgary, le mois dernier. La femme de 30 ans réfléchissait à l’idée de se rapprocher de sa famille depuis un certain temps, mais un an de reportages sur une crise sanitaire mondiale, au cours de laquelle elle rentrait chaque soir dans un appartement vide pour y passer la nuit, a achevé de la convaincre de mettre son plan à exécution.

« J’étais stressée, anxieuse et seule. Je me suis dit « wow, je ne peux pas imaginer faire ce travail pendant les cinq prochaines années, sans parler des 25 prochaines années, a expliqué Mme Campbell. Plus la pandémie durait, plus cela clarifiait, en quelque sorte, mes priorités. »

 

SOURCE – Amanda Stephensen, La Presse canadienne