Il y a deux ans, le lieutenant-général Roméo Dallaire quittait ses fonctions de sénateur pour se consacrer entièrement à ses engagements humanitaires et à sensibiliser la population aux grands enjeux géopolitiques. Ses conférences le conduisent de ville en ville et, le 10 mars dernier, c’était au tour du Collège universitaire King, à London, d’accueillir cet invité de marque. Sa causerie portait sur le leadership des puissances moyennes dans la prévention des conflits, un sujet en apparence aride, mais auquel le général Dallaire a su donner une poignante dimension humaine.

Le public est venu nombreux pour écouter celui qui est entré dans l’imaginaire collectif des Canadiens dans la foulée du génocide au Rwanda. Bien que plusieurs faits évoqués au cours de sa conférence étaient des plus troublants, le général Dallaire, bon orateur, a ponctué ses propos de touches d’humour et d’anecdotes amusantes. 

C’est d’abord en s’adressant aux jeunes de moins de 25 ans, soit l’essentiel de son public en cette institution d’enseignement, qu’il a commencé son intervention, en soulignant qu’ils constituent une génération sans frontières de par leur culture et leur proximité avec les technologies de communication. Ceci ne va pas sans responsabilités et le général a exprimé son souhait que les jeunes deviennent les militants de notre époque.

Dressant un rapide portait du monde depuis la fin de la Guerre froide, Roméo Dallaire a fait le constat de la lenteur des militaires, politiciens et spécialistes de l’humanitaire à comprendre et utiliser les outils à leur portée pour prévenir et résoudre les conflits. Ce type de question s’avère également un dilemme sans gain possible pour les décideurs politiques qui craignent d’être blâmés pour en avoir trop fait si « rien ne se passe » ou pour ne pas être intervenus avec efficacité si un conflit éclate.

De nos jours, il est de plus en plus difficile de créer une synergie pour faire face aux problèmes affectant certaines régions du monde. Le général Dallaire appuyait ses propos de projections PowerPoint et la première est sûrement celle qui aura été la plus évocatrice pour le public : à un graphique illustrant la hiérarchie militaire s’ajoutait progressivement les institutions nationales et internationales entrant dans le processus décisionnel de même que les organismes humanitaires présents sur le terrain. Nul besoin de dire que l’écran s’est rapidement couvert d’un fouillis d’entités sans coordination les unes avec les autres… Si la démonstration pouvait avoir un côté comique, l’absurdité de la situation actuelle a cependant des conséquences négatives bien réelles : les intervenants ne s’y retrouvent plus et d’importantes ressources sont gaspillées. Il devient urgent de réformer notre approche en matière de gestion de conflits puisque ceux-ci se rapprochent dangereusement de nous comme le démontrent, en pays occidentaux, les attentats terroristes et la crise des migrants.

Roméo Dallaire a axé une grande partie de sa conférence sur ce qu’il perçoit comme de l’immaturité de la part des décideurs canadiens et sur une tragédie qui le touche personnellement, celle des enfants en zones de guerre. En ce qui touche ce dernier point, il a partagé quelques chiffres qui font réfléchir : au cours des dix dernières années, deux millions d’enfants ont été tués dans des conflits armés, six millions ont été blessés sérieusement, un million sont devenus orphelins et 25 millions sont devenus des réfugiés ou ont dû quitter leur région. Il a également évoqué le sort des enfants soldats à l’intention desquels il a créé une fondation.

Parler d’un sujet aussi sensible que les tragédies frappant les enfants amène inévitablement à se questionner sur la nature humaine et la considération réelle que nous avons pour autrui. Le général Dallaire a rappelé que trop souvent, malgré leurs prétentions, les gens n’accordent qu’une importance secondaire aux drames secouant des peuples avec lesquels ils n’ont rien en commun. Les souffrances de certains, jugées presque inévitables et sans grande conséquence, sont vite oubliées. Qui plus est, il faut prendre en considération qu’il y a dans bien des cas une dimension économique ou géopolitique aux conflits qui ont des ramifications jusque dans les pays développés et qu’en cela, la cupidité et l’ambition de certains dictent les lignes à suivre. Pour l’Occident, il n’y avait pas d’intérêt égoïste à intervenir au Rwanda, avec les conséquences que l’on connaît.

Le militaire de carrière a néanmoins exprimé sa confiance en l’avenir. Ne donnant pas foi à l’adage selon lequel l’homme est un loup pour l’homme, il croit plutôt que les contacts de plus en plus faciles et fréquents entre les diverses nationalités rendront l’« autre » moins étranger et feront prendre conscience des ressemblances et intérêts communs. Il faut cependant se garder d’un enthousiasme sans limites pour les technologies de communication. Une vigilance est de mise pour ne pas qu’un pouvoir trop grand tombe entre les mains d’une caste de techniciens et pour éviter que des personnalités nuisibles ne se servent d’internet pour accéder à la célébrité.

En 2017, les Canadiens célébreront le 150e anniversaire de leur fédération. Roméo Dallaire a conclu sa conférence en invitant la population à donner à cet évènement une portée pratique empreinte d’idéalisme. Ce serait en effet l’occasion idéale de faire le point sur ce en quoi cette puissance moyenne peut apporter une contribution positive à l’échelle internationale. Le Canada est la 11e puissance du globe, mais les Canadiens, par manque de vision, ne prennent pas la place qui pourrait être la leur dans le concert des nations, en particulier en ce qui a trait à la prévention des conflits. Le général a invité tout particulièrement les jeunes à faire entendre leur voix pour transformer la relation du Canada avec le reste du monde en cette époque qui reste encore à définir.

 

 

Photo:  Le célèbre militaire était de passage à London.