Il y a la francophonie d’aujourd’hui, celle qui constitue notre quotidien et dont nous sommes les héritiers, et il y a la francophonie de demain, celle que l’on peut anticiper et préparer. À quoi ressembleront le français et la culture qui l’accompagne dans 20 ans? Comment, ici et ailleurs, la prochaine génération vivra le fait français?

Pour Philippe Morin, chef régional intérimaire au Collège Boréal de London, il s’agit d’un laps de temps trop court pour que des transformations majeures puissent se produire. « Dans une génération, il n’y a pas grand-chose qui peut changer, fait-il valoir. Cela dit, je pense que l’espagnol aura plus d’élan que le français. Mais le français restera la deuxième langue du Canada. » Il est enthousiasmé par l’offre grandissante de services en français dans le Sud-Ouest ontarien, et ce, dans tous les domaines. 

M. Morin constate également un intérêt marqué, à London, pour le bilinguisme : « Les gens sont vraiment intéressés à apprendre une deuxième langue et c’est le français ». Il cite en exemple la clientèle anglophone et allophone du Collège Boréal, les bonnes relations avec les autorités municipales et les partenariats qui sont noués avec divers organismes. Pour l’avenir, Philippe Morin espère que davantage de programmes d’éducation postsecondaires seront offerts dans le sud de la province, autrement, il sera difficile pour les jeunes francophones d’y demeurer et d’y faire leur vie. Une université de langue française serait à cet effet, selon lui, une avancée considérable.

Émilie Crakondji, directrice générale du Carrefour des femmes, estime que le Sud-Ouest est sur la bonne voie. Plusieurs signes augurent bien pour le futur du français : « Si on recule de cinq ou six ans, c’était en décroissance. Maintenant, on constate un regain, un renversement de la tendance à l’assimilation ». Elle donne pour exemple la volonté de nombreux anglophones à devenir bilingue et l’existence d’un militantisme renouvelé, notamment pour revendiquer une université francophone dans le sud de l’Ontario. 

Cependant, en ce qui con-cerne son pays natal, la République centrafricaine, Mme Crakondji se montre plus pessimiste : « Le français, dans 20 ans, sera toujours la langue administrative. Mais c’est une langue qui est en déclin, pour la simple raison qu’il y a un ressentiment à l’endroit de la culture française ». Là comme ailleurs sur le continent noir, la France s’est aliénée une partie de la population par ses relations douteuses avec certains gouvernements. Mais ce n’est cependant pas la seule raison : la renaissance du sango, la langue traditionnelle, et sa valorisation par le gouvernement centrafricain, est venue diminuer l’importance du français. « La langue française était la clé de la réussite sociale, poursuit-elle. Elle ne l’est plus aujourd’hui. » 

Émilie Crakondji constate un appauvrissement du français, entre autres parce qu’il n’est plus nécessaire de bien le parler et l’écrire pour être compris et accéder à la célébrité. Elle croit qu’une volonté politique ferme pourrait cependant redonner au français son lustre et sa place dans le monde.

Gaston Mabaya, directeur général de l’ACFO London-Sarnia, relève, à l’échelle locale et internationale, de nombreux obstacles à la diffusion de la langue française. « Je pense que la francophonie, en général, a beaucoup de défis à surmonter, dit-il. Elle est très menacée par l’envolée de l’anglais, surtout au plan scientifique et technique. Elle survit encore grâce à sa culture qui est très appréciée. » 

M. Mabaya s’inquiète de la dégradation de la qualité du français, surtout chez les jeunes. « Ce sont surtout les médias sociaux qui s’accaparent l’espace francophone en favorisant l’évolution anglophone, estime-t-il. Ceci se remarque essentiellement dans l’orthographe des mots utilisés. » Gaston Mabaya considère cependant que, dans le Sud-Ouest, le travail des organismes de langue française fait une différence positive pour la sauvegarde de la francophonie.

Difficile de juger de ce que sera la francophonie pour la prochaine génération. Le futur est ce que l’on veut bien en faire mais, seul, on ne peut guère changer le cours des choses.

Photo: Émilie Crakondji