Dans la franchise « Saw » (Décadence), le tueur au Puzzle (ou Jigsaw) contraint ses victimes à poser des gestes inimaginables pour tenter de survivre.

On ne veut surtout pas entrer dans les détails, mais les scènes d’horreur, de torture et d’automutilation qu’on y présente n’auront rien de divertissantes aux yeux de millions de personnes.

Des millions d’autres, en revanche, en redemandent et la franchise fait courir les foules. Elle compte maintenant huit titres et un neuvième est prévu pour 2020. Leurs recettes mondiales au guichet frisent le milliard de dollars américains depuis que le premier film est apparu sur les écrans en 2004.

Et on ne parle ici que d’une seule franchise. On ne parle même pas des légendaires Jason Voorhees, Freddy Krueger, Chucky et Michael Myers, pour ne nommer que ceux-là, qui ont à leur actif des dizaines de films, d’innombrables victimes… et évidemment, des centaines de millions de dollars en revenus.

Force est donc de conclure que pour certains, peur et plaisir sont intimement reliés.

« Dans un film d’horreur, c’est vraiment rare que les gens vont faire autre chose en même temps, a expliqué la professeure Marie-France Marin, du département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. On est complètement absorbés par l’action. Jusqu’à un certain point, tu perds un peu la notion de je suis où, quelle heure il est, quel jour nous sommes, et ça, ça fait du bien de temps en temps au cerveau. »

Au fil du temps, et surtout de l’évolution, notre cerveau a appris à consacrer toute son attention au danger auquel il fait face s’il veut survivre. À une certaine époque, c’était le tigre aux dents de sabre qui venait d’apparaître à quelques mètres de là; aujourd’hui, ce sont Jason et sa machette dégoulinante de sang.

« Les émotions comme la peur et les réponses physiologiques comme le stress nous ont toujours servis, a dit Mme Marin. Dans le fond, ça a permis à nos ancêtres de survivre assez longtemps aux menaces pour avoir la chance de passer leurs gènes à la génération suivante. Puisque ces caractéristiques-là ont si bien servi la survie de l’espèce, ça a été conservé de génération en génération. »

Hypervigilance
Il est donc impossible de regarder un film d’horreur de manière distraite, a ajouté Mme Marin. Notre cerveau ne nous laissera pas divaguer, aller ailleurs, réfléchir à cette rencontre avec notre patron demain ou planifier l’épicerie du week-end.

Cet état d’hypervigilance permet à plusieurs de décrocher complètement, d’éviter la rumination des derniers jours ou l’anticipation des prochains, d’où l’intérêt qu’ils y trouvent.

« En étant dans cet état-là, on est 100 pour cent dedans, a dit la chercheure. On est vraiment complètement centrés sur ce qui est en train de se passer. Donc ça peut être bien aussi, les gens qui ont tendance à toujours avoir le hamster qui roule, ben c’est un moment où on donne une pause au cerveau, on est 100 pour cent dans l’émotion, dans le moment. »

Et il y a plus : dans cet état d’hypervigilance, l’adrénaline coule à flots, le coeur bat à tout rompre et tous nos sens sont augmentés pour assurer notre survie. Tout cet « éveil physiologique » peut être très plaisant à explorer en toute sécurité.

« Il y a aussi des endorphines parce qu’une fois que c’est terminé (…), on se sent mieux, des endorphines sont libérées et les endorphines on le sait, on les appelle les hormones du plaisir, donc ça peut devenir « addictive », a expliqué Mme Marin. On peut avoir le goût de retourner et de vivre cette émotion-là. »

Mais ultimement, le cerveau n’est pas dupe. Il sait très bien que le danger n’est pas réel et qu’il peut s’extraire de la situation à tout moment, si cela devient insupportable.

« Le film, jusqu’à un certain point, oui on a peur, mais on sait qu’on peut quitter à n’importe quel moment, donc il y a un contrôle par rapport à ça, a conclu Mme Marin. Dans le fond, on est au courant que l’émotion qui est vécue n’est pas dommageable parce qu’on sait qu’il va y avoir une fin, on sait que c’est contrôlé, on sait que ce n’est pas vrai, on sait que c’est de l’imaginaire, donc le cerveau se permet un peu ce luxe-là. »

SOURCE : Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne