L’utilisation abondante d’agents assainissants et de désinfectant pour les mains est cruciale dans la lutte contre la COVID-19, mais elle pourrait nuire à la bataille du Canada contre les superbactéries.
Les microbiologistes affirment que les organismes résistant aux antimicrobiens, ou « superbactéries », représentent une pandémie à la même échelle que la COVID-19, mais qui se produira sur une période beaucoup plus longue.
La résistance aux antimicrobiens a été directement responsable de 5400 décès en 2018, selon un récent rapport du Conseil des académies canadiennes.
Si rien n’est fait, d’ici 2050, il pourrait y avoir jusqu’à 140 000 décès évitables, et les coûts des soins de santé au Canada associés à la résistance aux antimicrobiens pourraient atteindre 8 milliards $ par an.
C’est pourquoi certaines images de la pandémie de COVID-19 ont été si troublantes pour la Dre Lori Burrows, professeure de sciences biochimiques à l’Université McMaster.
« J’ai été un peu paniquée en voyant des camions-citernes pulvériser du désinfectant dans la rue dans certains pays », a-t-elle confié. « Cela me semble un peu excessif. »
Certains experts s’inquiètent même que des mesures strictement nécessaires pour détruire le nouveau coronavirus lié à la COVID-19 pourraient faire en sorte que certaines bactéries deviennent plus résistantes.
Le gouvernement devait publier son plan d’action pancanadien pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens cette année.
La ministre de la Santé, Patty Hajdu, a été interrogée sur le plan au comité de la santé de la Chambre des communes au début de mars, avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe de plein fouet le Canada.
« Nous nous sommes engagés à utiliser les antimicrobiens de manière responsable », avait-elle déclaré au comité. « Comme vous le savez, cependant, il y a actuellement une forte augmentation (de l’utilisation de) désinfectant pour les mains, ce qui ne nous aide pas dans le travail que nous faisons pour réduire l’utilisation des choses qui contribuent à la croissance des antimicrobiens. »
Bien que se laver les mains avec du savon ou des désinfectants à base d’alcool n’ait aucun effet connu sur les superbactéries, d’autres types d’agents assainissants et de désinfectants peuvent contribuer à créer des bactéries qui résistent aux antimicrobiens.
L’utilisation de médicaments pendant la pandémie pourrait également avoir un effet, a déclaré le Dr Gerry Wright, directeur de l’Institut Michael G. DeGroote pour la recherche sur les maladies infectieuses à l’Université McMaster.
« Chaque fois que nous sommes confrontés à une augmentation des infections du type de celles que nous constatons avec la COVID-19 (…), nous courons le risque d’infections bactériennes en même temps », a noté M. Wright.
Les infections bactériennes secondaires sont fréquentes chez les patients présentant de graves symptômes des voies respiratoires supérieures, a-t-il indiqué, ce qui conduit les médecins à prescrire des antibiotiques. Et l’utilisation accrue d’antibiotiques entraîne une augmentation de la résistance aux antimicrobiens.
On ne sait pas si l’utilisation d’antibiotiques dans le grand public a augmenté ou diminué pendant la pandémie, car le Canada ne recueille pas de données en temps réel.
Il se pourrait que les gens soient moins susceptibles de demander des soins médicaux de toute nature, mais une augmentation des visites virtuelles chez le médecin pourrait également conduire ces derniers à prescrire des antibiotiques sans tester d’abord les infections bactériennes, a avancé le Dr Andrew Morris, directeur médical du programme de gestion des antimicrobiens de Sinai Health System-University Health Network.
Nous ne le saurons pas avant la fin de la pandémie, a-t-il souligné.
Il semble cependant que davantage de personnes prennent des médicaments non éprouvés pour lutter contre la COVID-19, en particulier au sud de la frontière où le président Donald Trump a plaidé pour l’utilisation préventive de certains médicaments.
« Nous avons en fait des médecins et des patients qui réclament le médicament, alors que nous ne savons même pas si le médicament aide », a déclaré M. Morris.
« Cela nous a vraiment fait reculer, car nous disons depuis très longtemps que les antimicrobiens doivent être utilisés lorsque nous savons qu’ils aident. Ils ne devraient pas être utilisés à grande échelle et sans discernement. »
Tout comme le nouveau coronavirus, les superbactéries ne connaissent pas de frontières et peuvent parcourir le monde à une vitesse incroyable, ce qui rend le Canada vulnérable aux actions des gens d’ailleurs dans le monde.
Qui plus est, peu de sociétés pharmaceutiques investissent dans de nouveaux antibiotiques parce qu’ils ne sont pas aussi rentables que les médicaments prescrits de façon continue.
Les experts ont déclaré que le nouveau plan du Canada pour lutter contre le problème devra venir avec de l’argent pour une surveillance accrue, la collecte de données et de la recherche si on souhaite faire une différence dans cette deuxième, mais potentiellement tout aussi mortelle, pandémie.
SOURCE : Laura Osman, La Presse canadienne