Le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue du Canada et la seule à compter un nombre presque égal d’habitants francophones et anglophones.
Sur le plan politique, la langue demeure toutefois un sujet explosif.
« Je ne pense pas que le Nouveau-Brunswick a résolu ses divisions culturelles et linguistiques, affirme Herb Emery, un professeur à l’Université du Nouveau-Brunswick, à Fredericton. Il a plutôt eu des premiers ministres très doués pour éviter le sujet et maintenir la paix. »
Selon les sondages, les deux favoris de la course en prévision de l’élection du 24 septembre sont le libéral Brian Gallant et le progressiste-conservateur Blaine Higgs, deux hommes très différents.
M. Gallant, le premier ministre sortant, est bilingue, mais a toujours été réticent à l’idée de s’aventurer sur le terrain glissant de la question linguistique.
Son rival, M. Higgs, est un anglophone qui a brièvement fait partie d’un parti anti-bilinguisme il y a 30 ans, mais qui a depuis changé son fusil d’épaule et décidé de suivre des cours de français.
En dépit de leurs différences, aucun des deux leaders ne devrait faire du bilinguisme un enjeu électoral.
« Jouer la carte de la langue, c’est délicat, estime Christian Michaud, un avocat bilingue établi à Moncton qui a travaillé sur des affaires de droits linguistiques et des contestations constitutionnelles jusque devant la Cour suprême. Si vous ne le faites pas correctement, vous vous exposez à toutes sortes d’attaques. Ça peut vraiment se retourner contre vous. »
La question de la langue a fait les manchettes la semaine dernière après qu’un débat des chefs en français eut été annulé par Radio-Canada Acadie parce que Blaine Higgs ne pouvait pas débattre dans la langue de Molière et que Brian Gallant refusait de discuter avec quelqu’un d’autre que le leader progressiste-conservateur.
« C’était logique sur le plan politique pour les libéraux de ne pas prendre part à ce débat parce qu’ils n’ont même pas eu à débattre de quoi que ce soit et ils ont tout de même l’air du parti des francophones », croit Mathieu Wade, chercheur à l’Institut des études acadiennes de l’Université de Moncton.
La préservation du français au Nouveau-Brunswick est généralement attribuée à l’adoption d’une loi sur les droits linguistiques en 1969, législation qui a entraîné une vaste réforme sociale.
Selon les données de recensement, environ 32 pour cent des Néo-Brunswickois avaient le français pour langue maternelle en 2016 et 65 pour cent, l’anglais.
Mais la controverse entourant le débat des chefs en français montre que la langue reste un sujet épineux au Nouveau-Brunswick.
Les coûts et bénéfices du bilinguisme officiel ont d’ailleurs donné lieu à des échanges musclés, et ce, tant en français qu’en anglais.
Les opposants au bilinguisme soutiennent que séparer les francophones des anglophones, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, revient à pratiquer la ségrégation et que les exigences en matière de bilinguisme dans le secteur public désavantagent les anglophones.
De leur côté, les partisans du bilinguisme martèlent que leurs droits linguistiques ne peuvent pas être réduits à des arguments purement économiques.
Le droit des Néo-Brunswickois d’être servis par le gouvernement dans l’une des deux langues officielles est protégé par la Constitution et plusieurs estiment que cette dualité administrative contribue à protéger les francophones contre l’assimilation.
Du reste, le professeur Emery affirme que l’idée que cette dualité entraîne un dédoublement des services au sein du système est souvent fausse.
« Tant que les économies d’échelle sont atteintes parce que vous avez une clientèle suffisamment importante, la dualité n’est pas plus chère, assure-t-il. Mais si votre capacité à payer s’effondre, certaines choses auxquelles les gens tiennent devront être sacrifiées. »
Par Brett Bundale
LA PRESSE CANADIENNE