La rentrée n’a pas été de tout repos pour le Conseil scolaire catholique (Csc) Providence, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans une série d’articles, la Société Radio-Canada a exhumé une initiative du Conseil datant d’il y a deux ans et qui consistait à épurer les bibliothèques des écoles de certains livres jugés dégradants pour les Autochtones.
A priori, cela n’a rien de choquant : les institutions d’enseignement font de temps à autre le « ménage » au sein de leurs ressources pédagogiques pour se débarrasser de ce qui est désuet et l’on comprend que, dans certains cas, des propos ou des images jadis jugés inoffensifs soient en réalité préjudiciables. Or, dans le cas de ce qui s’est passé dans ces écoles du Sud-Ouest, ce sont l’ampleur et l’approche caractérisant cette initiative qui font controverse.
Quiconque peut se rendre compte que le Csc Providence a dû gratter le fond du baril de la rectitude politique pour en arriver à 155 oeuvres bannies (réparties en 4716 exemplaires) et 193 titres qui sont présentement en évaluation.
Dans bien des cas, la moindre broutille a servi de prétexte pour retirer des rayons des livres à propos desquels il faut beaucoup d’imagination pour leur trouver quoi que ce soit de raciste. Des bandes dessinées, des romans, des encyclopédies, des livres de bricolage, des biographies, etc. ont ainsi été écartés, parfois sur la base d’un seul mot jugé inconvenant.
Plusieurs de ces ouvrages sont pourtant sympathiques aux Premières Nations. Qui plus est, des Autochtones (tel Michel Noël) figurent au rang des auteurs dont les livres sont ainsi passés à la trappe. L’arbitraire de la démarche en a aussi surpris plus d’un, notamment les auteurs des ouvrages incriminés qui ont été rejoints par Radio-Canada (Marcel Levasseur, Sylvie Brien, Jean-Claude Larocque, etc.).
Que des livres pour enfants aient été retirés des bibliothèques parce qu’ils comportent des représentations tant soit peu folkloriques des Autochtones s’avère pour plusieurs particulièrement choquant. Est-ce raisonnable de demander à ce que des dessins conçus pour divertir les plus jeunes aient la même rigueur que ce qui est attendu des ouvrages scientifiques?
Autre aberration dénoncée de toutes parts, une trentaine de livres ont été brûlés au cours d’une cérémonie qui se voulait un geste de réconciliation. Le même type de démonstration devait se tenir dans les 30 écoles du Csc Providence, mais la pandémie a fait dérailler ce projet. À l’origine, tous les livres devaient être brûlés, mais plusieurs ont au bout du compte été envoyés au recyclage.
Au centre de cette controverse, une consultante nommée Suzy Kies qui se présente comme étant partiellement autochtone de par sa mère et qui a accompagné le Csc Providence dans sa démarche visant à épurer ses bibliothèques.
Mme Kies se définit également comme une « gardienne du savoir », au sens où elle collecte les récits oraux des peuples autochtones relatifs à leur passé. Suzy Kies offre des formations dans les écoles depuis plusieurs années et milite de diverses façons pour la reconnaissance des droits des Premières nations. En 2016, elle est devenue coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada.
Cette carrière a connu une fin abrupte le mercredi 8 septembre alors qu’il a été révélé que celle qui pourfend « l’appropriation culturelle » à toutes les sauces n’est même pas autochtone. Aucun archiviste, généalogiste ou représentant d’un conseil de bande n’a pu confirmer les origines autochtones de Suzy Kies.
Ce scandale a offert une porte de sortie au Csc Providence qui lui permet de rejeter le blâme sur Mme Kies pour la controverse entourant la purge effectuée dans ses bibliothèques.
« Nous avions la certitude que Suzy Kies était de descendance autochtone. Nous lui avions d’ailleurs demandé et elle nous avait confirmé que oui. Nous nous étions fiés à sa parole. Nous n’étions pas au courant que Suzy Kies n’a pas de statut d’Indien en vertu de la Loi et pensions sincèrement avoir la chance de travailler avec une femme autochtone possédant une grande expérience.
« Elle nous fut recommandée par d’autres leaders en éducation autochtone et, de par son implication dans plusieurs autres conseils scolaires, nous avions confiance en elle. Nous pensions que son expérience saurait nous guider dans nos initiatives de réconciliation. Nous avons le regret de ne pas avoir fait des recherches plus approfondies à son sujet », a commenté Lyne Cossette, porte-parole du Csc Providence.
Les autres activités de réconciliation qui devaient s’inscrire dans la foulée du retrait des livres ont été mises sur pause. Mme Cossette assure que le conseil scolaire apprendra de cette mésaventure : « Le Csc Providence prend très au sérieux les événements et nous mettons tout en oeuvre pour qu’ils ne se reproduisent pas. Notre but est d’ajuster notre approche pédagogique afin de favoriser l’apprentissage et la sensibilisation, autant pour nos élèves que pour le personnel ».
Ce qui s’est passé au Csc Providence est symptomatique de la surenchère antiraciste qui afflige les sociétés occidentales depuis quelques années. En cela, le milieu de l’éducation n’est pas plus à blâmer que certains médias, politiciens et entrepreneurs qui ont cautionné les pires dérives de la victimisation des uns et de la repentance des autres.
PHOTO (crédit: Facebook) – Même Justin Trudeau s’est trouvé dans l’embarras concernant les révélations au sujet de Suzy Kies (sur la photo avec le premier ministre), puisque celle-ci a été nommée coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada en 2016.