Les Franco-Ontariens ont eu plus que leur part de défis à relever en tant que minorité. Mais il est une fraction de la population, encore plus petite, dont l’histoire, même récente, a été encore plus houleuse. La situation des Premières nations a en effet occupé l’actualité à juste titre au cours des dernières années et plusieurs réserves ont toujours à composer avec divers problèmes. D’un autre côté, les Autochtones ont également pris des initiatives pour dynamiser leurs communautés et résoudre leurs difficultés au cours des ans.
Directement au sud de Sarnia se trouve la réserve d’Aamjiwnaang, dont les résidents, à l’image des autres localités amérindiennes, s’efforcent de maintenir un délicat équilibre entre modernité et traditions. Dans la langue des Ojibwés, Aamjiwnaang désigne un lieu de rencontre près d’un cours d’eau où les poissons viennent frayer. Autrefois établis sur les rives du lac Supérieur, ces Ojibwés, connus par les Français de l’ancien régime sous le nom de Saulteaux, émigrèrent vers le sud au début du XVIIIe siècle. Ils délogèrent les Iroquois du territoire s’étirant du lac Huron au lac Érié et s’établirent progressivement des deux côtés de la rivière St. Clair.
De la guerre de la Conquête à la guerre de 1812, les conflits entre Français, Britanniques et Américains bousculèrent les alliances traditionnelles, et nombreux sont les Autochtones qui périrent dans ces affrontements dont ils ne retirèrent que bien peu. Les épidémies firent également des ravages et, en 1827, lorsque la réserve d’Aamjiwnaang fut créée, il ne restait que 440 Ojibwés du côté canadien et 275 du côté américain. Les Anglo-Saxons les nommaient Chippewas, un nom que l’on retrouve encore aujourd’hui en maints endroits dans la topographie ontarienne.
Réduits à vivre sur une minuscule réserve, les Autochtones de Sarnia-Lambton se sont néanmoins forgé un milieu de vie propre à assurer leur avenir. Aujourd’hui dotée d’une administration logée dans un bâtiment moderne, d’un centre de santé, d’un centre communautaire, d’un parc industriel, etc., la communauté, composée d’environ 2300 personnes dont 850 vivent sur la réserve, entretient de bonnes relations avec les municipalités voisines et a accès à un marché de l’emploi diversifié.
La prospérité des Autochtones d’Aamjiwnaang s’appuie en effet largement sur la proximité de la « Chemical Valley », un surnom donné par les résidents de la région à la forte concentration d’usines pétrochimiques le long de la rivière St. Clair. Cependant, ces industries sont aussi à la source de nombreux problèmes de santé affectant les résidents de la communauté. L’un des plus connus est le nombre disproportionné de naissances de filles comparé à celles de garçons. Le phénomène s’observe depuis le début des années 1990 et il s’est même empiré avec le temps : il ne naît à Aamjiwnaang qu’un garçon pour deux filles alors que normalement, la proportion de nouveau-nés mâles est légèrement supérieure à celle des enfants de sexe féminin. Plusieurs études ont été faites au fil des années et il semblerait que les polluants émis par les usines perturbent le système hormonal des résidents.
D’autres effets sur la santé ont également été remarqués tels que des maux de tête fréquents et le développement de problèmes respiratoires. Mais les résidents de la réserve sont bien décidés à ne pas rester les bras croisés. Pétitions, manifestations et activisme politique ont eu raison de certains projets qui auraient pu être préjudiciables aux Autochtones et ceux-ci ont réussi à conscientiser leurs concitoyens aux risques posés par ces industries.
Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas nécessairement à Aamjiwnaang. En juillet dernier, la communauté élisait Joanne Rogers, première femme à y occuper la fonction de Chef. Mme Rogers avait précédemment servi pendant 21 ans comme juge de paix en plus d’occuper d’autres fonctions sur la réserve. Un de ses objectifs est de créer un centre de soins de longue durée pour les aînés d’Aamjiwnaang.
La communauté a encore du chemin à faire pour disposer de toutes les ressources nécessaires à son plein épanouissement, mais son dynamisme et les réalisations accomplies augurent bien pour l’avenir.