Vous vous demandez ce que pensent vos voisins des changements climatiques? Ou encore ce qui trotte dans la tête des Canadiens à l’autre bout du pays au sujet de la taxe sur le carbone?

Juste à temps pour l’élection fédérale d’octobre, un professeur de l’Université de Montréal, avec des collègues d’universités américaines, a réalisé un travail statistique monstre pour créer un outil interactif permettant de scruter les opinions et les perceptions des gens sur le climat, d’un océan à l’autre, par province et même au niveau très local, par circonscription.

Il s’agit d’une première application au Canada d’un tel modèle statistique, souligne Erick Lachapelle, un professeur agrégé de sciences politiques de l’Université de Montréal qui est derrière cette initiative.

Ce modèle arrive à point, alors que les changements climatiques promettent d’être un sujet chaud d’ici au prochain scrutin. « Cela peut nourrir le débat public au Canada, juge-t-il. Avec des données très robustes. »

Cet outil multi-niveaux permet de vérifier une foule de choses, notamment de réfléchir sur les différences d’opinions entre les habitants de certaines provinces. Et de voir si on est bien représentés par nos élus, lance le professeur. Leurs positions sont-elles alignées avec celles des électeurs? se demande-t-il.

Et il peut mener à certaines découvertes fort intéressantes et surprenantes.

Selon les données compilées, on peut voir qu’un peu plus de la moitié (52 %) des habitants de la circonscription de Regina-Qu’appelle – celle du chef conservateur Andrew Scheer – soutiennent la taxe sur le carbone, alors qu’il mène un féroce combat contre cette mesure fédérale.

En Ontario, on peut constater que la décision du premier ministre Doug Ford de se débarrasser du marché du carbone semble être en porte-à-faux avec les opinions de ses électeurs d’Etobicoke-Nord (dont la circonscription provinciale correspond grosso modo à la fédérale) : l’analyse révèle que 62 % d’entre eux appuient un tel système.

Cartographier les opinions

Les Cartes de l’opinion publique canadienne sur le climat (COPCC) ont été créées à l’aide d’un modèle statistique basé sur les réponses de plus de 9000 participants de plus de 18 ans à des sondages nationaux menés entre 2011 et 2018. Elles sont accessibles à tous sur le site de l’Université de Montréal. Le professeur Matto Mildenberger de l’Université de Californie à Santa Barbara a contribué à développer le modèle pour la mise à jour et pour la version originale, à laquelle les universités Yale et celle l’Utah ont aussi travaillé.

Parmi les questions posées aux répondants, on retrouvait « Est-ce que la planète se réchauffe principalement à cause de l’activité humaine, comme l’utilisation de combustibles fossiles, ou surtout en raison de tendances naturelles dans l’environnement? » ou encore « Quand les changements climatiques commenceront-ils à nuire aux habitants du Canada? ».

Cette version 2019 est une mise à jour d’un premier modèle confectionné en 2016, peu de temps après l’élection du premier ministre Justin Trudeau.

Cet outil comble aussi un vide: très peu de données sur l’opinion publique à l’échelle locale sont disponibles. Les chercheurs avertissent toutefois que les utilisateurs doivent garder à l’esprit que la précision des estimations diminue au fur et à mesure que l’échelle géographique se réduit.

« Notre étude montre qu’une vaste majorité des Canadiens croient aux changements climatiques et soutiennent les politiques en la matière partout au pays », conclut le professeur Lachapelle à l’aide de son outil.

Il précise certains de ses constats: la compilation révèle qu’à l’échelle nationale, 83 % des Canadiens croient que la Terre se réchauffe, mais les nouvelles cartes de l’opinion publique montrent de nettes différences entre les provinces et les circonscriptions. Alors que plus de 70 % des adultes croient au réchauffement climatique en Alberta, ils sont 89 % à partager cette opinion au Québec. À l’échelle des circonscriptions électorales, ces chiffres varient de 60 % pour la circonscription de Souris-Moose Mountain, en Saskatchewan, à 93 % pour la circonscription de Halifax, en Nouvelle-Écosse.

L’outil montre aussi l’évolution de la pensée chez les Canadiens en ce qui a trait aux changements climatiques. Entre 2011 et 2018, plus de gens qu’avant attribuent les changements climatiques à l’activité humaine, donne en exemple le professeur.

Il permet aussi aux politiciens de prendre le pouls de leurs électeurs et de voir quelles politiques sont les plus controversées, et celles qui génèrent un consensus.

Toutes les estimations sont dérivées d’un modèle statistique et géographique validé par la littérature universitaire et appliqué à des données issues de sondages pancanadiens administrés depuis 2011 par le chercheur lui-même. Ces données ont été utilisées pour estimer les différences d’opinions entre des groupes géographiques et démographiques tirés des données de Statistique Canada. Les résultats tiennent compte des changements d’attitude au fil du temps, précise-t-on.

Au final, il s’agit d’une base de données à haute résolution des opinions estimées des électeurs canadiens à l’échelle du pays, des provinces et des circonscriptions pour l’année 2019. La précision des estimations est de plus ou moins 7 % au niveau des circonscriptions (intervalle de confiance de 95 %), indiquent les chercheurs.

Les cartes sont accessibles au https://www.umontreal.ca/climat/a_propos.html.

SOURCE: Stéphanie Marin, La Presse canadienne