Il s’en est fallu de peu pour que Nesly Dorismond décède dans la solitude, à des milliers de kilomètres de chez lui. Mais la Providence, ou le hasard qui arrange souvent bien les choses, en avait décidé autrement. Les paroissiens de l’église Saint-Thomas-d’Aquin, à Sarnia, ont ainsi été appelés à lui témoigner compassion et amitié dans ses derniers moments et ce qui aurait pu être un drame oublié est devenu une grande leçon de générosité et d’humilité.
Tout a commencé l’hiver dernier alors que le père Kathemo Mukucha visitait des malades à l’hôpital. Les employés de l’établissement lui ont alors mentionné qu’un de leurs patients, d’origine haïtienne et arrivé au Canada en début d’année, se trouvait très isolé puisque ne parlant que le français et n’ayant aucun parent et guère d’amis pour lui rendre visite. Le père Mukucha l’a alors rencontré et c’est à son grand soulagement que ce patient a enfin pu se confier et fraterniser avec quelqu’un dans sa langue.
La santé de Nesly Dorismond, 28 ans, était dans un état critique. Dans son pays natal, la pauvreté et l’instabilité politique condamnent souvent le système hospitalier à l’impuissance et les malades à une mort précoce. M. Dorismond souffrait d’un problème congénital au cœur qui, dans les pays développés, peut être résolu par une chirurgie dès qu’il est diagnostiqué chez l’enfant. La grande majorité des jeunes Haïtiens n’ont pas cette chance et M. Dorismond a dû se contenter de s’accrocher à la vie en espérant un jour pouvoir être soigné. Lorsque cette possibilité s’est présentée, le personnel hospitalier a découvert chez lui un autre problème : une grave insuffisance rénale.
Son état de santé s’était à ce point détérioré que les médecins l’ont jugé irréversible, tant son cœur que ses reins étant irrécupérables. Face à l’inévitable, Nesly Dorismond aurait pu choisir de retourner en Haïti et de mourir entouré des siens. Mais dans ce pays, les soins palliatifs sont quasi inexistants et c’est dans la souffrance qu’il aurait fini ses jours. Qui plus est, comme un malheur n’arrive jamais seul, une inondation avait récemment emporté sa maison et sa ferme, ne lui laissant que le soutien des membres de sa famille qui n’avait déjà pas grand-chose à partager, vivant eux-mêmes dans la pauvreté.
Le jeune homme a alors décidé de passer les quelques semaines qui lui restaient à vivre à Sarnia, une ville qui lui était étrangère, et assisté de médecins et d’infirmiers dévoués mais qui ne partageaient pas sa langue. En pareilles circonstances, l’espérance aurait fait place au désespoir et à la colère chez plusieurs, mais ce ne fut pas le cas pour Nesly Dorismond. C’était un homme pieux et enclin à l’optimisme. Et alors qu’il semblait certain que la solitude soit sa dernière compagne, un petit miracle s’est produit : la communauté francophone est devenue sa nouvelle famille.
Le père Mukucha fut ce premier contact. Catholique pratiquant, M. Dorismond fut bien content de se rendre, tant que sa condition le lui permit, à la messe du dimanche à Saint-Thomas-d’Aquin, assisté de quelques paroissiens. Considérant la précarité de sa situation, le père Mukucha a alors constitué un petit comité pour aider Nesly Dorismond et le réconforter. Mais le soutien de la paroisse est allé bien au-delà des efforts de ce groupe.
« J’ai été très frappé de la réponse de la communauté », raconte le père Mukucha. Plusieurs ont noué des liens d’amitié avec M. Dorismond, passant du temps en sa compagnie, que ce soit en prière ou en discussion. D’autres lui amenaient des plats ou lui faisaient faire des balades en auto. Dans tous les cas, la reconnaissance, la gentillesse et la sérénité de Nesly Dorismond furent remarqués de ceux qui l’ont côtoyé. Pour plusieurs, ce fut une expérience qui leur a conféré une plus grande humilité.
Si M. Dorismond a beaucoup reçu des gens de Sarnia-Lambton, ceux-ci ont également reçu de lui une meilleure appréciation de ce que représente la vie en communauté. Les gens se sont rapprochés les uns des autres par le biais de cette expérience. Pour les catholiques, ce fut également un exemple concret illustrant que les chrétiens forment une famille qui transcende les frontières. Quant à ceux qui ne sont pas attachés à la foi, ils en ont retiré l’espoir d’un monde meilleur où la bonne volonté de chacun peut faire une différence. « La communauté a compris que la vie est entre les mains de Dieu, résume le père Mukucha. D’un point de vue humain, on fait tous partie de cette humanité commune. »
Nesly Dorismond est décédé le 22 avril et a été inhumé à Sarnia. Ses funérailles, célébrées le 6 mai à l’église Saint-Thomas-d’Aquin, ont rassemblé des gens de tous horizons, preuve que son court passage à Sarnia a touché des gens aux parcours les plus divers. En sa mémoire, la paroisse recueille, jusqu’à la fin du mois de juin, des dons en argent qui seront acheminés à sa famille en Haïti.
Photo : l’église Saint-Thomas-d’Aquin, où Nesly Dorismond s’est recueilli dans les dernières semaines de sa vie.