Le 5 mai dernier, le Centre communautaire régional de London était l’hôte d’une cérémonie de commémoration du génocide ayant eu lieu au Rwanda en 1994. C’est la Communauté rwandaise de London (CRL), un des organismes ethnoculturels avec lesquels le Centre communautaire est en contact, qui était à l’origine de cette initiative.
À l’invitation de John Nkuranga, maître de cérémonie, Munanira Kaleke, président de la CRL, fut le premier à s’adresser à l’assistance. Il a rappelé que si la communauté internationale se souvient surtout de ce qui s’est passé en 1994, dans les faits, les massacres avaient débuté dès 1959. M. Kaleke a fait valoir qu’il est normal que beaucoup de temps soit nécessaire pour reconnaître les torts qui ont été faits et compléter le processus de guérison dans lequel les Rwandais se sont engagés. Le rire et le sourire des uns et des autres seront des armes contre le mal.
Après une minute de silence, Clarisse Cechetto, Carlos Kagame, Joanna Ruhinda et Ella Impano ont lu de brefs poèmes et quelques mots d’encouragement, à la suite de quoi Sibylle Ugirase a déclamé un texte inspirant. John Ruhinda a ensuite offert un descriptif des origines du conflit et du génocide qui n’avait rien de spontané mais qui, au contraire, était préparé de longue date.
C’est dans l’époque coloniale que s’enracinent les antagonismes entre Hutus et Tutsis. Ces derniers formaient une minorité disposant d’un certain pouvoir et furent favorisés par les autorités belges au détriment des autres dans le cadre d’une tactique classique consistant à « diviser pour régner ». La stratification progressive de la société rwandaise et sa politisation accrue au cours des années 1950 va déboucher tôt sur des violences, les Tutsis étant désignés par les extrémistes Hutus comme des ennemis de l’État.
Avant même l’indépendance et jusqu’en 1990, des massacres se déroulent sporadiquement, forçant d’exil de centaines de milliers de Tutsis. En octobre 1990, groupés dans un parti et une force militaire qui se veut ouverts à tous, les exilés Tutsis et leurs alliés Hutus entreprennent de revenir de force au Rwanda et d’y renverser le gouvernement. Une guerre civile s’ensuit et elle durera trois ans. Dans les mois qui suivent, alors que des espoirs de paix font jour, l’assassinat du président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et du président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, relance le conflit qui, à partir du 7 avril 1994, se transforme en génocide des Tutsis. En trois mois, 800 000 d’entre eux périront.
Ces données historiques ne peuvent remplacer le témoignage de quelqu’un ayant vécu ces évènements de près. Jean de Dieu Nyandwi est un survivant du génocide. Il était un jeune adolescent à l’époque et ne comprenait pas l’antagonisme entre les Tutsis et les Hutus, en qui il ne voyait que des voisins et des amis. Un jour, sa famille a été attaquée et ce n’est que de justesse qu’il a pu s’échapper avec quelques proches. S’en est suivie une angoissante pérégrination au cours de laquelle il a encore une fois échappé à la mort. Son récit émouvant s’est conclu par quelques mots d’espoir.
Une autre survivante, Chantal Mudahogora, aujourd’hui psychothérapeute, a axé son intervention sur les réactions psychologiques et sociales des Tutsis, marqués d’abord par un état d’abattement puis de refoulement des émotions, surtout chez les hommes pour qui il est tabou de montrer ses sentiments douloureux. Mais les Rwandais, qu’ils soient en Afrique ou ailleurs, se sont relevés et la résilience a prévalu. Un handicap émotionnel demeure cependant chez les Rwandais, qu’ils ne pourront résoudre qu’en trouvant la solution à l’intérieur d’eux-mêmes.
Jean Baptiste Ntakoma, au nom de la Communauté burundaise de London, a exprimé son soutien et sa solidarité et souligné que ce type de commémoration aide ceux qui cherchent à comprendre ce qui s’est passé en 1994.
Un autre invité de marque, Igor Marara, premier conseiller au Haut-commissariat de la République du Rwanda à Ottawa, a expliqué qu’il y a plusieurs leçons à tirer de ce qui a été dit au cours de cette cérémonie et a remercié les partenaires impliqués dans son organisation. M. Marara a insisté sur le fait que les événements de 1994 doivent être appelés par leur nom, un génocide, et qu’il n’existe pas de stratégie qui puisse soulager la conscience collective de cette réalité. Il faut faire face aux faits et le cheminement de guérison sera parcouru dans l’unité.
Sous le nom de « Kwibuka » (« souviens-toi »), cette commémoration n’était certes pas une activité réjouissante mais, pour plusieurs, n’en était pas moins essentielle. Ils sont des milliers, dont certains à London, à avoir vécu ce drame qui ne doit pas être oublié et, au contraire, doit être mieux compris afin que pareille chose ne se reproduise pas.
PHOTO : La cérémonie a rassemblé environ 75 participants.