L’écoute du chant semble aider le cerveau à reconstruire les réseaux nécessaires à la parole après un accident vasculaire cérébral, ont constaté des chercheurs finlandais.
L’effet bénéfique du chant aurait été supérieur à celui de la musique seule ou de la parole seule (sous la forme de livres audio), précisent les chercheurs de l’Université d’Helsinki et de l’Hôpital universitaire de Turku dans le journal médical eNeuro.
L’écoute du chant a apparemment contribué au rétablissement de la connectivité structurelle du réseau de langage dans le lobe frontal gauche, ce qui a ensuite été associé à une récupération des aptitudes de langage, a-t-on expliqué par voie de communiqué.
« La musique semble être un véhicule qui stimule le cerveau et qui facilite le développement de nouvelles connexions, a résumé le docteur Christian Stapf, un neurologue vasculaire du CHUM qui s’occupe principalement de patients qui ont subi un AVC. C’est comme si l’impact de la musique sur notre cerveau l’incite plus à se reconnecter et à trouver de nouvelles voies. »
À l’aide de techniques de résonance sophistiquées, poursuit le docteur Stapf, les chercheurs finlandais ont démontré que « le groupe exposé à la musique vocale récupère mieux de la fonction (…) et il y a plus de connexions qui se forment dans les centres du cerveau qui participent au langage. Ces structures-là se connectent mieux dans le groupe exposé à la musique vocale ».
Les participants à l’étude ont pu choisir le style musical qui leur plaisait le plus. Aucune mention n’est faite de la langue utilisée, mais il serait logique de conclure que les plus grands bénéfices sont générés par un chant dans une langue que le patient peut comprendre.
Le chant peut être d’une très grande utilité aux victimes d’un AVC, a confirmé Cheryl Jones, une des principales expertes de la musicothérapie au Canada, mais tout dépend selon elle de la région du cerveau qui a été touchée. Avec le chant, dit-elle, on active l’hémisphère droit du cerveau, alors que le langage est habituellement contrôlé par l’hémisphère gauche.
« On recrute un autre membre de l’équipe pour récupérer le langage, a-t-elle illustré. L’hémisphère droit vient aider les zones de l’hémisphère gauche qui ont été blessées et qui n’y arrivent plus toutes seules. »
Aphasie
L’aphasie et les troubles du langage sont courants après un AVC, a dit le docteur Stapf. Le langage, explique-t-il, est une fonction complexe. Il ne suffit pas de parler : il faut aussi comprendre le sens des mots, générer des mots pour produire un contenu qui soit logique, générer non seulement des sons, mais aussi la signification qui les accompagne.
« Le langage est un système très complexe dans le cerveau, a dit le docteur Stapf, qui est musicien à ses heures. Il y a plusieurs entrées, visuelles, auditives, et il y a plusieurs sorties. »
Face à un patient atteint d’aphasie, ajoute-t-il, il peut être très difficile de déverrouiller une de ces portes d’entrée. Comment peut-on parler de langage avec quelqu’un qui l’a perdu? Comment peut-on comprendre des mots quand on a perdu la notion et la compréhension?
Il faut alors trouver le bon canal d’entrée, et « avec le langage chanté, on arrive parfois à débloquer une situation qui est très perturbée ».
« On a toujours eu, dans le passé, l’observation que parfois, quand les mots purs n’entrent pas, les mots portés par la musique parfois entrent, et on arrive à faire chanter des patients aphasiques qui spontanément ont du mal à parler », a-t-il dit.
Plasticité du cerveau
La base de la récupération après un AVC tient à la plasticité du cerveau, cette capacité qu’a le cerveau de se réorganiser pour recommencer à fonctionner plus ou moins normalement.
Au cours de l’expérience finlandaise, lors d’une comparaison entre les groupes qui avaient été exposés au chant, à la musique et aux livres audio, ce sont les patients du premier groupe qui ont développé une meilleure fonction de langage.
« Ça veut dire que les mots plus un vecteur, qui est la musique, semblent avoir plus d’impact sur la fonction, a dit le docteur Stapf. Ça veut dire que des neurones qui ont survécu (…) essaient à la fois de réécrire les logiciels qui ont été touchés, mais aussi de créer de nouveaux branchements, de nouvelles connexions entre eux. »
Lors de la réadaptation, des mots seuls ou de la musique seule peuvent avoir un effet favorable, mais « apparemment quand on utilise la musique comme vecteur, comme deuxième entrée dans le cerveau en dehors de l’entrée des mots purs, le système semble plus se stimuler et être plus incité à créer ces connexions ».
On observe un peu le même phénomène avec la danse, a indiqué le docteur Stapf, qui est parfois utilisée pour aider un patient à réapprendre à marcher et à bouger après un AVC. Ici aussi, l’ajout de la musique semble bénéfique.
Mécanisme mystérieux
En musicothérapie, souligne Mme Jones, on demandera parfois au patient de travailler des chansons ou des comptines (souvent tirées de son enfance) dont les mots et le rythme lui sont très familiers.
Cette familiarité pourra d’une certaine manière faciliter la tâche au cerveau et aider le patient à réapprendre lentement à parler.
On pourra aussi enseigner au patient à chanter des phrases dont il a besoin dans sa vie de tous les jours, comme « J’ai faim » ou encore « Je suis fatigué ».
« Ça demande beaucoup de travail, mais ils finiront par être capables de chanter « J’ai faim », a-t-elle dit. Puis éventuellement, ils seront capables de le dire en parlant. On pourra continuer à entendre l’influence de la musique, mais dans les faits, ils parleront. »
Pour le moment, le mécanisme exact par lequel le chant incite le cerveau à se réorganiser plus efficacement pour récupérer le langage après un AVC reste essentiellement mystérieux.
On sait très bien que la musique peut susciter des émotions.
Est-ce là la clé de toute l’affaire? Que des mots seuls ne sont pas aussi efficaces que des mots portés par des émotions? Est-ce que le chant sollicite d’autres zones du cerveau qui sollicitent davantage ces nouvelles connexions?
Ce sont toutes des questions que se pose le docteur Stapf, qui n’hésite pas à parler d’une « découverte incroyable » qui pourrait ouvrir la porte à une meilleure compréhension de ce que fait la musique dans notre cerveau dans ce contexte.
D’autant plus, fait-il remarquer, que « la musique n’a pas d’effets secondaires ».
« Musique plus langage semble améliorer le langage. Musique et mouvement semblent améliorer la motricité, a-t-il constaté en conclusion. Peut-être que la musique pourrait devenir un vecteur dans plusieurs domaines qui facilitent la plasticité neuronale et la capacité du cerveau à récupérer ou même d’améliorer des fonctions.
« La musique parlée devient apparemment de la musique qui nous parle et qui parle à notre cerveau et qui l’incite à trouver de nouvelles connexions. C’est très beau comme principe. C’est un remède qui est facilement disponible à la maison, pour tout le monde. »
SOURCE – Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne