En 2017, le Canada, ou plutôt, la constitution qui en constitue l’armature, passera le cap des 150 ans. Or, ce pays ne s’est pas constitué en un jour et, au XIXe siècle, les représentants des diverses colonies britanniques d’Amérique du Nord ont mis bien du temps à débattre des articles du document fondateur et à en fignoler les moindres aspects. La première conférence constitutionnelle s’est tenue à Charlottetown en septembre 1864, la deuxième à Québec en octobre de la même année et la troisième, après bien des discussions dans chaque colonie, à Londres en décembre 1866.
C’est en effet dans la capitale de l’empire que les délégués de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du Canada-Uni se sont rencontrés une dernière fois. La conférence, en ce qui touche au nombre de participants, fut beaucoup plus modeste que les précédentes : seuls 16 représentants des colonies y ont participé, auxquels se sont joints quelques membres du gouvernement britannique. Les travaux débutèrent officiellement le 4 décembre.
Charles Tupper, de la Nouvelle-Écosse, tenta en vain d’apporter des modifications importantes au projet pour satisfaire le mouvement indépendantiste de sa province, dont le délégué Joseph Howe était un des plus ardents représentants. Les deux hommes plaidèrent leur cause auprès des autorités britanniques à grand renfort de lettres et de brochures. Mais c’est plutôt la question des droits scolaires des minorités religieuses qui a retenu l’attention de la majorité. D’autres questions relatives au Sénat, aux pêcheries, à l’administration des pénitenciers, etc. furent aussi abordées.
C’est lors de cette conférence qu’a officiellement été choisi le nom de « Canada » pour la fédération. La désignation de « royaume » fut abandonnée pour celle de « dominion », et c’est d’ailleurs à ce moment que s’est déroulé le célèbre épisode du choix de la devise du nouveau pays. Le délégué Samuel Leonard Tilley se référait en effet au psaume 72 de la Bible : « Il y aura aussi un dominion qui ira de la mer à la mer et de la rivière aux extrémités de la terre. » D’un océan à l’autre, en somme… Qui plus est, la colonie du Canada-Uni fut scindée en deux et les noms d’« Ontario » et de « Québec » ont été sélectionnés pour en désigner les différentes parties.
La constitution devait satisfaire autant que possible à quatre sociétés ayant chacune leurs intérêts et qui sont en plus divisées par la langue et la religion. Mettre sur papier un document viable destiné à devenir un projet de loi a été un travail de longue haleine dont les délégués ne réussirent finalement à s’acquitter qu’au début du mois de février 1867. Le projet de loi fut soumis à la reine Victoria le 11 février et fut adopté sans difficulté par la Chambre des Lords et par la Chambre des Communes. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique obtient la sanction royale le 29 mars.
Un mystère entoure cette conférence constitutionnelle, un conflit qui serait survenu entre George-Étienne Cartier et John Alexander MacDonald et dont on parle depuis 150 ans. En effet, il semblerait que MacDonald ait tenté à la dernière minute de transformer l’union fédérale en union législative, ce qui aurait fait disparaître les provinces. Cartier, porte-parole de facto des Canadiens français, s’opposa à ces machinations car elles menaçaient les libertés et la survie des institutions des francophones. Le premier à rapporter cette anecdote fut Elzéar Gérin, un correspondant pour des journaux canadiens qui couvrit la conférence. D’autres ont apporté de l’eau au moulin à cette rumeur : Cartier lui-même s’est ouvert à ce sujet auprès de ses amis et dans sa correspondance privée.
Quoi qu’il en soit, les provinces ont survécu et continuent aujourd’hui à définir la culture et la politique canadienne. Le 150e anniversaire que les Canadiens s’apprêtent à célébrer n’est pas celui d’une abstraction, mais d’une histoire complexe, contrastée et qui s’ancre dans les réflexions et les travaux d’un groupe d’hommes d’État qui donnèrent l’exemple d’un pays fondé dans le dialogue et non dans la violence.