En 1793, le gouvernement du Haut-Canada devint la première colonie de l’empire britannique à interdire l’importation d’esclaves. Ce même empire bannit l’esclavage sur l’ensemble de son territoire en 1834 par décision de Londres. L’Amérique du Nord britannique constituait donc un refuge pour les esclaves américains en fuite et, en 1860, 20 000 Noirs se trouvaient sur le territoire du Haut-Canada, alors devenu le Canada-Ouest, la future province de l’Ontario.

Tous cependant n’étaient pas d’anciens esclaves puisque l’attrait pour cette terre de liberté remontait à assez loin pour que certains y soient nés. Des communautés noires existaient ça et là dans le sud de la colonie et la région de London n’était pas en reste à ce chapitre. C’est d’ailleurs à 20 minutes de route au nord de la ville, à proximité de ce qui est aujourd’hui l’agglomération de Lucan, que se trouvait le premier village de pionniers noirs au Canada.

Fondé en 1829, le hameau de Wilberforce compta un peu plus de 150 habitants à son apogée. Créé à l’initiative de Noirs désirant quitter Cincinnati, une ville où régnait le racisme en dépit de l’absence de loi esclavagiste, Wilberforce constituait une communauté agricole où les conditions de vie étaient dures. Les colons, en majorité d’anciens citadins, réussirent à rendre leur village fonctionnel au plan économique et social mais se découragèrent face à la charge de travail que demande un établissement agricole. Des dissensions dans la communauté contribuèrent à son déclin et à sa disparition aux environs de 1850. Une plaque commémorative et un vieux cimetière sont aujourd’hui les seuls témoins de son existence.

Au milieu du XIXe siècle, London n’était pas une grande ville mais comprenait tout de même une variété intéressante de secteurs économiques, assez pour permettre à chacun d’y prospérer en fonction de ses goûts et aptitudes. La majorité des Noirs fuyant les États-Unis pour le Canada s’établirent dans les villes et London était l’une de ces destinations. La présence d’une communauté noire y est attestée dès les années 1830 dans le secteur des rues Thames et Horton Est.

À titre anecdotique, mentionnons qu’à London, les deux premiers crieurs publics, un emploi payé par la municipalité et dont la fonction était d’annoncer aux foules les proclamations officielles, étaient des Noirs. Cela illustre l’éventail d’occupations professionnelles détenues par les 400 Afro-Canadiens qui vivaient dans cette ville en 1860. L’un était pharmacien, un autre pasteur, d’autres encore enseignants et marchands, bref, la communauté était prospère et, comme on le dirait de nos jours, bien intégrée.

Deux édifices patrimoniaux illustrent aujourd’hui cette époque. L’un, érigé en 1848, était alors une chapelle appartenant à l’African Methodist Episcopal Church. Après avoir servi de résidence privée pendant longtemps, le bâtiment fut déménagé en novembre 2014 de son site originel sur la rue Thames au lieu qu’il occupe présentement à côté de l’église Beth Emmanuel sur la rue Grey. Pourquoi cet emplacement? Tout simplement parce que la communauté noire, devenue plus prospère au fil des ans, déménagea peu à peu dans ce secteur dans la seconde moitié du XIXe siècle et que l’église Beth Emmanuel, construite en 1870, fut son second lieu de culte, constituant ainsi l’autre édifice intimement lié à son histoire.

Cependant, après la fin de la guerre de Sécession aux États-Unis, en 1865, de nombreux Noirs commencèrent à quitter l’Ontario pour retrouver leur famille restée au sud de la frontière. Les quelques Noirs, venus des États-Unis ou d’ailleurs, qui s’établirent ensuite à London pour une raison ou une autre ne se fixèrent pas dans les environs de l’église Beth Emmanuel de sorte que le quartier noir disparu à la fin du XIXe siècle.

La Première Guerre mondiale, avec le brassage de population qu’elle engendra, donna un second souffle à la communauté noire de London. En 1930, ils étaient environ 250 selon une estimation de la Canadian League for the Advancement of Coloured People, un organisme fondé à London en 1924. L’âme du mouvement était James Jenkins, né aux États-Unis et établi en Ontario depuis 1907, qui fonda également un journal, The Dawn of Tomorrow, consacré aux affaires intéressant les Noirs du Canada. Au sommet de sa popularité, en 1971, il était distribué à 48 000 exemplaires dont 21 000 par abonnement. L’Université Western conserve les archives de cette publication.

Les temps changent, les flux migratoires se modifient et la communauté noire de London n’a aujourd’hui guère de liens avec celle des États-Unis. Le système esclavagiste qui a persisté dans ce pays jusque dans les années 1860 ne fait pas partie de l’histoire familiale de la grande majorité des Noirs vivant en Ontario. Mais qu’ils soient d’Afrique, des Caraïbes, d’Amérique du Sud ou d’ailleurs, tous sont les héritiers de ce patrimoine local qui immortalise le parcours de leur communauté.

 

PHOTO : L’église Beth Emmanuel (à gauche) et l’ancienne chapelle de l’African Methodist Episcopal Church présentement en rénovation