L’experte en littératie financière Laurie Campbell connaît bien l’embarras que craignent de nombreux parents après avoir révélé à leur jeune enfant combien d’argent ils gagnent, puisqu’elle a elle-même vécu cette expérience.
Sa divulgation devait s’inscrire dans une discussion plus large sur l’épargne, les dépenses et le coût de la vie, mais son garçon de 10 ans s’est précipité hors de la maison et a transmis l’information à un de ses amis avant de lui demander combien sa mère à lui gagnait.
Cette expérience est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux parents hésitent à être transparents avec les enfants sur un sujet aussi sensible.
Même si la décision de divulguer ses revenus à ses enfants est un choix personnel et dépend de leur âge et de leur maturité, Mme Campbell estime que les gens devraient commencer à s’ouvrir davantage aux discussions liées à l’argent.
« L’argent est un sujet tellement tabou », a observé la directrice du bien-être financier des clients de la firme Bromwich and Smith, spécialisée dans l’accompagnement de personnes en difficultés financières.
Mais les parents doivent entamer la conversation avec leurs enfants dès leur plus jeune âge, pour les aider à comprendre comment prendre des décisions concernant leurs besoins et leurs désirs qui seront utiles toute leur vie.
« Il est si important d’enseigner à nos enfants les éléments constitutifs de l’indépendance financière, afin que nous les aidions à éviter les chagrins et les difficultés que nous avons peut-être à vivre à cause de nos gaffes et de nos erreurs », a souligné Mme Campbell, ajoutant qu’il faut du temps pour adopter de bonnes habitudes.
Elle suggère de commencer dès le plus jeune âge en emmenant les enfants à l’épicerie, d’ouvrir éventuellement un compte bancaire pour eux et de discuter des cartes de crédit, des hypothèques et des dangers de l’endettement. Une allocation pour effectuer des tâches supplémentaires au-delà de faire leur lit ou de nettoyer leurs chambres vaut également la peine d’être envisagée.
Il est ensuite possible de développer la conversation lorsqu’ils atteignent environ 16 ans, poursuit-elle, soit lorsqu’ils comprendront mieux l’argent, afin de faire d’eux des adultes financièrement astucieux et indépendants.
« Personne ne veut qu’ils vivent dans le sous-sol pour toujours », plaisante-t-elle.
Bon niveau de littératie financière au Canada
Mme Campbell avertit les parents d’examiner d’abord leur propre situation financière, puisque de nombreux Canadiens ne sont pas toujours les plus diligents pour ce qui est de dépenser judicieusement, d’épargner de façon appropriée et de partager ce qu’il leur reste.
Néanmoins, une enquête réalisée en 2020 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) auprès d’étudiants de 15 ans a révélé que le Canada se classait au deuxième rang, à égalité avec la Finlande, sur 20 pays participants en matière de littératie financière.
Plus de 90 % des étudiants canadiens avaient au moins le niveau minimum de littératie financière requis pour participer pleinement à la société moderne. Et 44 % des étudiants canadiens ont effectué des tâches associées à des niveaux avancés de littératie financière.
L’enquête mondiale triennale a révélé que les adolescents qui parlaient de finances avec leurs parents, ne serait-ce qu’une fois par semaine, obtenaient 33 points de plus en littératie financière que ceux qui n’en parlaient pas.
Plusieurs provinces ont introduit des cours de littératie financière à l’école, mais les parents ont un rôle essentiel à jouer dans l’enseignement de ce sujet.
Avec l’impact de la COVID-19 sur les finances des ménages, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada suggère que les parents impliquent leurs enfants dans des conversations sur l’actualité liée aux finances et sur la façon dont la famille réagit financièrement à ces circonstances sans précédent.
Le patron de la Fondation canadienne d’éducation économique estime que l’une des plus grandes erreurs qu’un parent puisse commettre est de ne rien apprendre à ses enfants au sujet de l’argent.
« Beaucoup de parents semblent être réticents à le faire parce qu’ils ont tendance à manquer de confiance en eux, qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir l’expérience requise ou qu’ils ont peut-être fait des erreurs dans leur vie, a noté Gary Rabbior.
« Lorsqu’on fait des erreurs, on se place probablement en bonne position pour être l’un des meilleurs professeurs. »
Compromis inévitable: acheter ou épargner
Il est préférable de commencer à un jeune âge plutôt que d’attendre qu’ils soient au secondaire et qu’ils aient déjà développé certaines attitudes et certains comportements par rapport à l’argent.
« S’ils ne sont pas comme on voudrait qu’ils soient, c’est beaucoup plus difficile à changer que si on commence tôt et qu’on les développe. »
M. Rabbior a déclaré qu’il est essentiel d’enseigner aux enfants que chaque décision financière implique un compromis : acheter maintenant ou épargner pour l’avenir.
Cela ne veut pas dire d’empêcher les enfants de toute gratification instantanée, mais d’essayer de la limiter à des situations où les conséquences ne sont pas trop importantes. Il faut les laisser apprendre en faisant des erreurs, comme en achetant un jouet qu’ils meurent d’envie d’avoir, mais avec lequel ils arrêtent de jouer après quelques jours seulement.
« J’espère que cela inculquera à un enfant le sentiment qu’il est approprié d’accorder une plus grande attention à ses décisions financières. »
L’un des plus grands défis auxquels les parents sont confrontés de nos jours est les médias sociaux, où les perceptions d’un enfant sur l’argent sont déformées par les soi-disant influenceurs. Cela incite certains enfants à élever leur propre situation sur internet pour les faire paraître mieux nantis qu’ils ne le sont. Cela aggrave également le sentiment des autres enfants.
« La perception qu’ont les enfants d’eux-mêmes, ce qu’ils apprécient, comment ils sont comparés aux autres, c’est probablement l’un des plus grands facteurs de risque chez les enfants d’aujourd’hui, a estimé M. Rabbior.
« Nous essayons donc de faire comprendre aux parents que ce qu’on fait ici n’est pas seulement d’enseigner aux enfants au sujet des pièces de monnaie, des dollars, des cartes de crédit et des choses comme ça. On essaie en fait de jeter les bases pour garder le contrôle de sa vie, vivre selon ses moyens, en prenant de bonnes décisions qui auront finalement un impact sur le bonheur et la bonne santé mentale de son enfant à mesure qu’il grandit. »
SOURCE – Ross Marowits, La Presse canadienne