À peu près à la même époque l’année dernière, Margaret Atwood était une écrivaine octogénaire que les médias s’arrachaient un peu partout dans le monde.
Elle venait après tout de faire paraître Les Testaments, suite de son grand roman dystopique La Servante écarlate, publié 34 ans plus tôt. Propulsée sur le devant de la scène médiatique grâce au méga succès de la série télévisée qu’on en avait tiré, l’écrivaine canadienne était l’invitée de galas de prix littéraires et de talk-shows à la télévision, et elle faisait la couverture des magazines.
C’était avant que la COVID-19 ne confine le monde, comme dans un roman dystopique dont Margaret Atwood a le secret. L’écrivaine se retrouve maintenant confinée dans sa grande maison couverte de verdure au centre-ville de Toronto.
Mais même cette pandémie ne peut effeuiller son agenda chargé – elle serait même plus occupée maintenant, car les rendez-vous en ligne l’ont libérée des contraintes de l’avion. « On peut tout à fait être à un festival en Espagne le matin et à San Francisco l’après-midi », dit-elle lors d’une récente entrevue téléphonique…
Bientôt âgée de 81 ans, l’autrice canadienne bardée de prix et de récompenses soutient que l’un des privilèges d’être vieux, c’est de savoir « que des choses bien pires sont arrivées avant et que la race humaine est toujours là ».
Mais Margaret Atwood admet aussi qu’au faîte de sa carrière, elle est aussi au crépuscule de sa vie. Certaines des personnes qui comptaient le plus pour elle ont disparu. Ses articulations la font grimacer, ses photos Polaroïd commencent à blêmir. C’est dans cet état d’esprit qu’elle renoue avec la poésie, comme à ses débuts d’écrivaine : elle a publié, le 10 novembre, son premier recueil depuis plus d’une décennie, Dearly, des poèmes écrits entre 2007 et 2019.
Plusieurs de ces poèmes ont été écrits en « anticipation » de la mort de son conjoint de longue date, Graeme Gibson, à qui le recueil est dédié in absentia.
Jeunesse ne sait pas
Alors que les gens de sa génération s’en vont petit à petit, Margaret Atwood soutient que les récits partagés peuvent rapprocher ceux d’un certain âge, alors que le temps élargit le fossé entre les aînés et les jeunes. « Les personnes âgées se souviennent de ce que c’est que d’être jeune, mais les jeunes n’ont jamais été vieux », rappelle l’écrivaine.
L’âge peut aussi, par contre, alourdir le poids de la réputation : elle est saluée par le magazine New Yorker comme « prophète de la dystopie » et ses admirateurs estiment que nous vivons actuellement dans le monde lugubre prédit par ses romans: une société ravagée par la contagion, le désastre environnemental et une oppression des femmes sanctionnée par l’État.
Mais ses détracteurs soutiennent que l’autrice fait désormais partie intégrante du système misogyne justement dénoncé par ses romans. Elle s’est retrouvée du « mauvais côté » de luttes féministes, ces dernières années, pour avoir remis en question les tactiques du mouvement #MeToo – elle se méfiait en 2018 des dérapages possibles d’un lynchage public accepté par la culture ambiante.
Fervente utilisatrice de Twitter, elle attribue une grande partie de l’agitation suscitée par ses supposées « transgressions » à l’effet de vrille du discours numérique qui, selon elle, propulse la désinformation à un rythme plus rapide que l’esprit humain ne peut le traiter.
Elle insiste sur le fait qu’elle a été cohérente dans sa conviction que les femmes peuvent être à la fois des victimes et de mauvaises personnes. Ce point de vue est évident dans son recueil Dearly, qui présente les femmes tour à tour comme des soeurs assassinées et des sirènes assoiffées de sang.
« Quiconque soutient que les femmes sont toujours bonnes n’a jamais été en quatrième année ou n’a jamais lu un livre, dit-elle. Pour moi, ce n’est pas simplement nier le libre arbitre des femmes : c’est nier leur caractère humain. »
SOURCE – Adina Bresge, La Presse canadienne
PHOTO (Facebook) – Margaret Atwood