Il est beaucoup question, ces temps-ci, de l’histoire mouvementée des États-Unis. Plusieurs croient que la Guerre civile américaine a peu à voir avec l’histoire du Canada et il est vrai que ces événements ne sont liés que par quelques détails à notre passé.

Cela ne veut pas dire pour autant que les Canadiens ont évolué en marge de leurs voisins sans se soucier de ce qui se passait chez eux. Ainsi, comme certains autres de ses compatriotes, nul autre que Calixa Lavallée, compositeur à qui l’on doit l’hymne Ô Canada, s’est engagé dans l’armée de l’Union (nordiste) dans laquelle il devint officier. D’autres, par contre, ont connu un sort moins enviable et demeurent largement méconnus : c’est le cas de William McAdam Luke dont le décès a été commémoré au cours des derniers jours, 150 ans après les circonstances tragiques qui ont entouré sa mort.

Né en Irlande en 1831, William Luke s’est établi comme plusieurs immigrants en Ontario, plus précisément à Grey Highlands près d’Owen Sound. C’est là qu’il aurait pu couler des jours tranquilles avec son épouse et ses enfants si ce n’eut été de la vie des esclaves américains qui capta son attention.

Le « chemin de fer clandestin », soit les diverses routes suivies par les esclaves en fuite pour trouver refuge au Canada, est un fait historique aujourd’hui bien connu des Canadiens grâce aux efforts qui ont été accomplis pour faire connaître cette page du passé. La plupart du temps, ce sont les régions du Niagara et de Windsor-Essex qui sont associées aux points de destinations de ces Noirs qui bénéficiaient du soutien de sympathisants du côté américain de la frontière et de la bienveillance des autorités du côté canadien. Or, certains faisaient une partie du voyage en bateau sur les Grands Lacs et posaient pied au Canada sur les rives de la baie Georgienne. C’est dans ce contexte que William Luke s’est intéressé à leur sort.

La Guerre civile terminée, les Afro-Américains disposaient d’une liberté toute relative et plusieurs Blancs ont pris l’initiative de les aider à améliorer leurs conditions socioéconomiques. Luke était de ceux-là et c’est ainsi qu’il partit pour l’Alabama en 1869 afin d’enseigner au Talladega College, une institution consacrée à l’enseignement des Noirs. Qui plus est, un chemin de fer était en construction à proximité et, puisqu’il y occupait des fonctions de supervision, il avait le loisir de payer aux travailleurs noirs un salaire égal à celui des Blancs.

Son activisme lui valut l’hostilité prévisible du Ku Klux Klan qui lui fit comprendre qu’il avait « intérêt » à mettre un terme à son engagement à contribuer à l’émancipation des Noirs. Luke n’en fit pas de cas et continua son travail.

Pas pour très longtemps, hélas. Le 11 juillet 1870, à Cross Plains, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Talladega, William Luke fut kidnappé et pendu par des membres du Klan avec sept Noirs. Avant son assassinat, ses ravisseurs lui permirent d’écrire une lettre à sa femme dans laquelle il exprime ses regrets à l’idée de mourir loin d’elle sans pour autant remettre en question son engagement en faveur des Afro-Américains.

Un siècle et demi après sa mort, afin de lui rendre hommage, des cérémonies ont été tenues dans le village ontarien où commença son périple et dans le cimetière où il est inhumé en Alabama.

Le chemin de fer clandestin qui a inspiré à William Luke de s’engager pour une cause qui allait lui couter la vie n’a pas été oublié à Owen Sound où se tient chaque année le festival Émancipation (« Emancipation Festival »). Il s’agit d’un événement qui remonte à 1862 et qui soulignait alors l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique en 1834. Au fil du temps, des éléments propres à l’histoire des États-Unis ont été incorporés aux commémorations. Pour les intéressés, la pandémie a malheureusement forcé l’annulation des célébrations de cette année mais une activité se tiendra néanmoins en ligne, le 1er août, pour ne pas que l’édition 2020 du festival passe complètement sous silence.

PHOTO (Crédit : findagrave.com) – William Luke est inhumé en Alabama.