En Ontario, la troisième semaine de février est, depuis 1985, consacrée à la sensibilisation à l’importance du patrimoine et aux connaissances historiques. C’est donc avec un peu d’avance que le comité organisateur de la London Heritage Fair conviait le public à assister à un panel virtuel le jeudi 11 février. Le thème? Les similitudes et les différences entre la pandémie de grippe « espagnole » de 1918-1919 et celle de la COVID-19 de 2020-2021.
Animée par Megan Stacey du London Free Press, le panel rassemblait six intervenants : Hilary Bates Neary, historienne locale; Dr Anisha Datta, professeure associée de sociologie au Collège universitaire King de l’Université Western; David Marskell, directeur général de l’institution THEMUSEUM à Kitchener; Dr Vivian McAlister, chirurgien à l’Hôpital universitaire de London et professeur à l’Université Western; Dr Shelley McKellar, professeure d’histoire à l’Université Western spécialisée dans l’évolution de la médecine; et Dr Jonathan Vance, professeur d’histoire à l’Université Western, expert dans les paniques populaires du Moyen Âge à nos jours.
À un siècle d’intervalle, les deux pandémies ayant entraîné les politiques sanitaires les plus coercitives se ressemblaient aussi au chapitre du volontariat. La dernière année a été riche en initiatives individuelles et communautaires destinées à soulager ceux qui étaient les plus affectés sur les plans sociaux et économiques. La même chose s’est produite dans la foulée de la Première Guerre mondiale, alors que la pandémie avait également suscité un élan de générosité.
Cela dit, la solidarité d’alors était peut-être davantage une question de nécessité que de choix : les plus pauvres ne disposaient pas de nombreux programmes sociaux pour les aider et les infrastructures médicales étaient loin d’être à la hauteur de la situation, d’autant plus que les hôpitaux étaient réticents à accueillir ces malades contagieux. Les soins se donnaient donc souvent à domicile.
Bien d’autres similitudes se dégagent d’un examen attentif des deux pandémies : la recherche d’un coupable (les Chinois en 2020, les Allemands en 1918), un animal mis de l’avant comme vecteur possible de la maladie (les chauves-souris en 2020, les chevaux en 1918), l’exaspération des commerces face aux fermetures obligatoires, etc.
Ce dernier point met en relief le caractère toujours perturbateur des pandémies. Les « symboles » de la COVID-19 – la quarantaine, le confinement, l’interdiction des rassemblements, les masques, etc. – étaient déjà bien présents à l’époque de la grippe espagnole, de même que la peur et l’incertitude.
La réponse scientifique à la pandémie de 1918 reposait surtout sur la prévention. La population, à l’époque, se demandait si un vaccin pouvait être développé mais la science n’était pas assez rapide, quoiqu’il y ait eu des tentatives à cet égard. Cela était d’autant plus difficile parce que les scientifiques étaient familiarisés avec les bactéries mais pas avec les virus, beaucoup plus petits et impossibles à étudier efficacement avec la technologie d’alors.
De la même manière que l’hydroxychloroquine a suscité un vif intérêt au cours des derniers mois, l’aspirine a été vue comme un traitement miracle il y a un siècle, avec dans les deux cas des résultats au mieux controversés.
Une différence majeure départage les deux pandémies : le degré de confiance dans les décideurs publics. La position par défaut, maintenant, est de tenir en suspicion les politiciens et ceux qui les entourent. Il était plus facile pour ces derniers de tempérer la panique des masses il y a 100 ans puisque le respect à leur endroit était plus grand et la partisanerie politique moins tranchée.
Et qu’en est-il des jeunes? Les panélistes n’ont pas tellement abordé cette question en ce qui touche la grippe espagnole mais des anecdotes intéressantes ont été relatées à propos de l’épidémie de polio de 1937. C’est en effet à ce moment que l’enseignement à distance a été utilisé pour la première fois à grande échelle. Alors que les élèves d’aujourd’hui suivent leurs cours sur internet, certains de leurs grands-parents ou arrière-grands-parents ont alors suivi les leurs à la radio. Des journaux à grand tirage avaient également été mis à contribution pour publier les leçons quotidiennes.
Les panélistes en avaient aussi long à dire sur ce que l’on doit retenir de la pandémie de COVID-19, qui a notamment révélé à quel point le Canada est sous-équipé pour produire des vaccins sur un mode industriel, ce qui devrait pourtant être une question de sécurité nationale. Mais le secteur privé a aussi un devoir de réflexion à entamer : seuls 11 % du budget des compagnies pharmaceutiques sont consacrés à la recherche alors que cette proportion atteint 27 % pour le marketing. Quant aux institutions culturelles et muséales, elles devront contribuer à préparer la société pour les changements futurs.
Bien des pratiques seront sans doute là pour rester : le travail et les études postsecondaires à distance, la nécessité de mieux consommer l’information et de prendre du recul face à l’actualité quotidienne, la normalisation du port du masque en Occident comme c’était le cas depuis longtemps en Orient, etc. Surtout, en dépit des bouleversements des derniers mois, l’histoire nous révèle que les humains, créatures sociales, auront tôt fait de se rassembler à nouveau.
PHOTO – Les participants au panel ont partagé leurs connaissances.