L’artiste Gregory Richard Curnoe, originaire de London, ville où il passa la plus grande partie de son existence, s’est illustré pendant 30 ans comme une figure majeure de l’art contemporain au Canada. La Michael Gibson Gallery lui rend hommage jusqu’au 22 février en exposant certaines de ses œuvres réalisées entre 1961 et 1965. Curnoe, alors dans la vingtaine, entamait sa carrière d’artiste peintre, explorant les diverses avenues que lui offraient la peinture, le collage, le dessin et l’estampe.
Déjà, dans ses premières années d’autodidacte se manifestait ce que sera toujours Greg Curnoe, tant comme artiste que comme personne : l’optimisme, le sens du leadership, le goût pour les thématiques éclatées et débordantes de couleurs, l’intérêt pour sa région et pour la culture populaire, etc. Le style adopté par Curnoe au début de sa carrière s’apparente à celui du mouvement pop art, une vague artistique des années 1950-1960 se focalisant sur les images véhiculées par les médias de masse et la société de consommation. Les célèbres portraits chromatiques de Marilyn Monroe, réalisés par Andy Warhol à la même époque, sont emblématiques de ce courant. La bande dessinée et le dadaïsme, un mouvement artistique anti-intellectualiste et délibérément absurde (tel le fameux urinoir de Marcel Duchamp baptisé Fontaine), ont également influencé Curnoe pendant longtemps.
C’est donc guidé par cet esthétisme très actuel que Greg Curnoe entame sa carrière d’artiste, qui fait corps avec ses engagements sociaux. Sitôt de retour à London après ses études, il se joint à une communauté de jeunes artistes qui fonderont en 1961 un magazine intitulé Region (qui paraîtra jusqu’en 1990). Il dirigera également la galerie Region de 1962 à 1963 et exprimera son intérêt pour l’histoire des Premières Nations du sud de l’Ontario par l’entremise de divers projets. Ce sera l’époque du « régionalisme » en art, au sens où des artistes de partout au pays prirent pour sujet leur lieu de résidence et rejetèrent les modes issues des grands centres. L’indépendance d’esprit caractérisait cette approche qui voulait que l’art soit tiré du contexte spatial et temporel où évolue l’artiste.
Cet attachement pour sa ville d’origine guidera Curnoe pendant toute sa vie et le poussera à s’impliquer dans sa communauté. Par exemple, en 1967, il fondera les London Centennial Wheelers, un groupe de cyclistes amateurs et, en 1973, il contribuera à la fondation de la galerie Forest City. Ses premières années de création se sont déroulées à une époque d’effervescence où, en dépit des problèmes politiques d’ici et d’ailleurs, régnait une atmosphère d’optimisme et de joie de vivre. Cela transparaît dans les œuvres de Greg Curnoe, aux thématiques souvent légères et marquées au sceau d’une certaine insouciance. Cette inclination à la désinvolture s’est aussi révélée dans son anarchisme facétieux, sans doute né des influences du dadaïsme. Ainsi, Curnoe participera en 1963 à la fondation du Parti nihiliste du Canada, un groupuscule basé à London prônant l’abstentionnisme politique et un régionalisme utopique. En 1965, il sera un des cofondateurs du Nihilist Spasm Band, un groupe de musique alternative ne consistant en fait qu’à faire du bruit avec des instruments inventés de toutes pièces.
Ces quelques pirouettes dans le monde de l’absurde n’empêchaient pas Greg Curnoe d’être un artiste consciencieux et sérieusement engagé. Il a fait partie, en 1968, des membres fondateurs du Front des artistes canadiens. Cette association à but non lucratif d’artistes en arts visuels, qui existe encore aujourd’hui, a pour mandat de promouvoir ces disciplines en plus d’encourager les initiatives socioéconomiques propices à la production d’œuvres d’art. Qui plus est, la créativité et le talent de Curnoe le firent remarquer assez tôt : en 1967, année du centenaire de la Confédération, il fut commissionné pour peindre une murale à l’aéroport international de Dorval (aujourd’hui l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau). Les années 1960 sont aussi celles où se tinrent ses premières expositions à l’étranger.
Pendant 30 ans, Greg Curnoe aura donc été un artiste majeur, non seulement à London, mais sur la scène canadienne. Il est décédé en 1992, fauché par un camion alors qu’il se promenait à bicyclette, un passe-temps qu’il affectionnait.
Photo : Three Pieces, une œuvre rarement exposée, représentant la compagne de l’artiste, Sheila Curnoe, accompagnée des paroles d’une chanson des Rolling Stones et d’une citation du chef cri Big Bear.